Le Liban devrait connaître, courant octobre, le nombre et le nom des compagnies ayant présenté des offres pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures offshore. Le processus de sélection du ou des consortiums qui exploiteront les ressources du pays est encadré par des réglementations, jugées conformes aux normes internationales de transparence. Mais dans la pratique, la bonne volonté du gouvernement reste à prouver.

Lucy Nicholso/Reuters

Près de sept mois après son adoption en Conseil des ministres, la loi sur les dispositions fiscales régissant le secteur du gaz et du pétrole offshore a été votée au Parlement le 19 septembre.

Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait annoncé le report – du 15 septembre au 12 octobre – de la date de clôture de l’appel d’offres pour l’attribution de contrats d’exploration et d’exploitation, sur recommandation de l’Autorité du pétrole (LPA). Cette dernière avait justement invoqué l’absence d’un cadre fiscal spécifique, sur lequel les compagnies pétrolières auraient pu baser leurs offres. C’est désormais chose faite. La plupart des réglementations relatives au secteur ayant été adoptées, le Liban devrait enfin passer à la pratique. Mais la vigilance est plus que jamais de mise.

Dans un rapport publié mi-septembre, l’Initiative libanaise pour le pétrole et le gaz (LOGI) a évalué le cadre légal et réglementaire, qu’elle a jugé « conforme aux bonnes pratiques internationales ». Le rapport met toutefois en garde contre « les difficultés de mise en œuvre et de suivi (des textes), au regard de la mauvaise gouvernance au Liban ».

Des failles pouvant mener à « un manque de transparence et des risques de corruption » ont été identifiées dans certains textes, confirme l’un des auteurs du rapport, l’avocate internationale Tonje Gormley. « La proposition de loi sur la transparence dans le secteur, présentée par le député Joseph Maalouf, devrait répondre à la majorité de ces failles », poursuit-elle.

Mais en attendant, des mesures doivent être prises, à chaque étape du processus, pour garantir la transparence promise par le gouvernement. À commencer par les revenus générés jusque-là. Si le Liban ne devrait pas encaisser les recettes commerciales du gaz avant quelques années, les frais de candidatures aux phases de présélection (50 000 dollars par compagnie) et la vente des données sismiques lui ont déjà permis de collecter environ 32 millions de dollars. « Ces revenus ont été placés dans un compte à la Banque centrale, contrôlé par le ministre de l’Énergie et le directeur des installations pétrolières de Zahrani. Nous demandons à ce qu’un relevé de ce compte soit publié chaque année », souligne la directrice exécutive de LOGI, Diana Kaïssy.

Identité des bénéficiaires réels

Au niveau de la procédure, selon la feuille de route annoncée en janvier dernier, le gouvernement devrait publier la liste des candidats ayant déposé une offre le lendemain de la date de clôture. Il s’agira de consortiums pouvant regrouper plusieurs entreprises, dont au moins un opérateur reconnu. À ce stade, rien n’oblige l’État à dévoiler l’identité des propriétaires réels de ces compagnies. La société civile estime pourtant qu’elle devrait avoir accès au nom de toutes les personnes physiques, directement ou indirectement actionnaires de compagnies impliquées dans le secteur – y compris plus tard au niveau de la sous-traitance – particulièrement celles qui ont un lien avec le monde de la politique. « Le Liban s’est engagé à rejoindre l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI), qui impose à tous les pays candidats de publier la liste des bénéficiaires finaux des compagnies pétrolières avant 2020. La LPA travaille déjà sur cette liste, et nous lui recommandons de la publier au plus vite », souligne Tonje Gormley.

 Des critères objectifs

Une fois les candidats annoncés, la LPA a un mois pour évaluer leurs offres. Les critères d’évaluation de l’offre technique (30 %) et de l’offre financière (70 %) ont été définis dans le décret d’application n° 43 de la loi-cadre de 2010.

Ces « critères sont conformes aux bonnes pratiques internationales. Les offres techniques et commerciales sont prédéterminées, claires, objectives et laissent très peu de marge de manœuvre discrétionnaire », lit-on dans le rapport. LOGI regrette en revanche qu’un troisième paramètre d’évaluation, « l’approche générale et la conceptualisation du programme d’exploration », ne soit soumis à aucun barème, contrairement aux offres techniques et financières. « Tous les critères d’évaluation doivent être objectifs et faire l’objet d’une notation », insiste le rapport.

Ces notations permettront ensuite à la LPA d’établir un classement des offres et de faire ses recommandations au Conseil des ministres, à qui revient la décision finale. Mais rien ne dit que ces informations seront publiques.

 Le classement des offres

« Il est crucial que le rapport d’évaluation et le classement des offres soient publiés. Autrement, aucun contrôle par une tierce partie ne pourra être exercé », affirme Tonje Gormley. « Les offres techniques et financières des compagnies doivent également être rendues publiques, à l’exception du volet relatif à “l’approche générale et la conceptualisation du programme d’exploration”, qui pourrait comporter des informations confidentielles », ajoute-t-elle.

« Ce sera au Conseil des ministres de décider de la publication ou non de ces documents », rétorque une source au ministère de l’Énergie. « Le rapport de la LPA, en particulier, est destiné à des ministres qui ne sont pas spécialistes du secteur. Il devrait donc être simplifié, et ne pas comporter d’informations sensibles ou de données scientifiques brevetées par les sociétés », ajoute-t-il. Ce rapport et le détail des offres présentées par les entreprises permettraient à des experts de savoir si le gouvernement a choisi l’offre la plus adaptée, suivant des critères objectifs.

 Confidentialité des données

Arrive enfin la dernière étape avant la signature des contrats. Le protocole de l’appel d’offres autorise le ministre de l’Énergie à renégocier avec les compagnies gagnantes les détails de leurs offres techniques. Si ces négociations n’aboutissent pas, le ministre peut alors négocier avec le consortium arrivé en deuxième position.

« Il s’agit d’une pratique courante dans plusieurs pays, mais nous recommandons que les critères négociés soient restreints et définis au préalable. Idéalement, les procès-verbaux de ces réunions devraient être publiés. Les négociations sont plus propices à la corruption », souligne LOGI.

Mais là encore, le ministère invoque la confidentialité. « Ces négociations portent le plus souvent sur la conceptualisation du programme d’exploration. Les compagnies refuseront de divulguer certaines données scientifiques », affirme la source au ministère de l’Énergie.

Cette même raison est citée par les autorités pour justifier la décision de ne pas rendre publics les contrats finaux qui lieront l’État libanais aux compagnies pétrolières. « La majeure partie du contrat d’exploration et de production est définie par le contrat-type, qui a été rendu public. Le protocole de l’appel d’offres qui établit les critères d’évaluation a également été rendu public. Il n’y a donc aucune raison susceptible de justifier la confidentialité des contrats finaux », s’insurge LOGI dans son rapport. Il faut les publier « pour prévenir toute opacité lors des dernières étapes du processus d’attribution des licences. C’est le seul moyen permettant à une tierce partie ou à la société civile de vérifier que ces contrats ont été signés en toute impartialité ou équité », conclut le lobby. 


Une candidature unique ?

 Avant le report de la date de clôture, l’appel d’offres pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures offshore au Liban n’avait pas vraiment suscité l’engouement, selon des sources informées. La « seule candidature sérieuse », était celle d’un consortium composé de deux opérateurs : la compagnie française Total et l’italienne Eni, et d’un non-opérateur, la compagnie russe Novatek. Eni et Total sont déjà partenaires dans un consortium chargé d’explorer deux blocs au large de Chypre. 

Selon une source proche du ministère de l’Énergie, ayant requis l’anonymat, un deuxième consortium mené par la compagnie indienne ONCG Videsh a également manifesté son intérêt, mais il a demandé un délai de trois mois supplémentaires, refusé par l’Autorité du pétrole. « ONCG Videsh prévoit de s’associer à trois non-opérateurs : la compagnie turque Turkish Petroleum Corporation (TPAO), la libanaise CC Energy et la compagnie britannique SOCO International », dit-on de même source. 

D’autres candidatures pourraient toutefois se déclarer à la dernière minute. « Il est courant que les grandes compagnies pétrolières préparent leurs offres en toute discrétion pour ne pas alerter la concurrence. Elles retirent les dossiers la veille de la date limite et déposent leurs offres au dernier moment », explique-t-on à la LPA.

Pour son premier cycle d’attribution de contrats, le Liban a fait le pari d’ouvrir cinq blocs sur dix, dont trois situés au sud de sa zone économique pour affirmer sa souveraineté, alors qu’une partie des surfaces est contestée par Israël. « Si elles ne souhaitent pas être confrontées à des risques géopolitiques, les compagnies vont éviter de déposer des offres dans les trois blocs du Sud (numéros 8, 9 et 10) en raison du litige frontalier avec Israël, et dans le bloc du Nord (n° 1) en raison d’un possible litige avec la Syrie. Il ne leur restera donc que le bloc du centre (n° 4). Cela dit, certaines compagnies pourraient prendre le risque de candidater au bloc 9, car il est doté d'un fort potentiel géologique », observe Laury Haïtayan, directrice régionale du Natural Resource Governance Institute.