En dépit des discours officiels et des espoirs des hommes d’affaires de toute la région, rien n’indique que le processus de reconstruction est sur le point de s’enclencher.

Bulent Kilic/AFP

Le comité pour la reconstruction de la Syrie s’est réuni, fin septembre, sous l’égide du Premier ministre, Imad Khamis. Établi formellement en 2012, ce comité interministériel est chargé d’offrir des compensations aux particuliers et aux entreprises pour les pertes subies à cause de la guerre, et de trouver les financements nécessaires pour réhabiliter et réparer les infrastructures détruites, en particulier dans les zones qui n’étaient pas tenues par le régime et dont il vient de reprendre le contrôle.


Des résultats très modestes


Ce mandat ambitieux est loin d’avoir été rempli essentiellement à cause du manque de financements. Selon des sources officielles, le comité s’est vu alloué depuis sa création environ 100 milliards de livres, l’équivalent de 200 millions de dollars au taux actuel, mais en pratique seule une partie de cet argent a été dépensée. Les familles qui ont été indemnisées ne dépassent pas quelques milliers, alors que les habitations reconstruites se chiffrent à moins de 2 000. Ces résultats sont bien maigres au vu de la dévastation qui a touché la Syrie. Un rapport de la Commission économique et sociale de l’Asie de l’Ouest des Nations unies (plus connue sous l’acronyme anglais Escwa) a estimé le coût de la destruction physique à environ 100 milliards de dollars à la fin 2016, le nombre d’habitations détruites à plus de 500 000 et le nombre de réfugiés et de déplacés à plusieurs millions. Quant au gouvernement, il estime que le secteur public à lui seul a subi des pertes directes de 14 milliards de dollars ainsi que la destruction partielle ou complète d’environ 28 000 immeubles. En 2013, une taxe de 5 % prélevée sur les impôts directs et indirects –une taxe sur les taxes donc – a été introduite pour financer la reconstruction, mais elle ne devrait rapporter que 13 milliards de livres cette année, l’équivalent de 25 millions de dollars.


À la recherche d’une stratégie


La dernière réunion du comité avait pour ambition de définir une stratégie de reconstruction et un plan à long terme. Elle a d’ailleurs été présidée par le Premier ministre, et non par le ministre de l’Administration locale qui chapeaute habituellement le comité. Huit principaux ministres étaient également présents – ceux de l’Économie, des Finances, du Transport, du Pétrole, de l’Industrie, des Travaux publics, de l’Intérieur et de l’Administration locale – en plus du directeur de la commission du plan.

Selon les médias syriens, le chef du gouvernement, Imad Khamis, a dit à ses ministres : « Nos partenaires internationaux (NDLR : il se réfère ici aux pays ayant soutenu le régime comme la Russie, l’Iran ou la Biélorussie) nous posent des questions auxquelles nous devons apporter des réponses : comment pouvons-nous vous aider ? Par où et comment devons-nous commencer ? Quels sont vos besoins ? »

Les autorités syriennes disent depuis des mois se préparer à la reconstruction. Elles clament que les investissements reviennent à toute vitesse et promettent à tous leurs partenaires internationaux que leurs entreprises auront la priorité. Or il n’y a toujours pas d’amorce de stratégie de reconstruction et beaucoup de questions restent en suspens.

Celle du financement est évidemment primordiale, mais de nombreux autres sujets restent encore à aborder : quels sont les secteurs prioritaires ? Va-t-on commencer la reconstruction dans tout le pays en même temps ou bien dans certaines régions seulement ? Quid du retour des réfugiés et des défis liés à leur retour ? Qui du gouvernement central ou des administrations locales va piloter la reconstruction ?

Par ailleurs, il n’y a toujours pas de définition claire de la politique économique, fiscale et commerciale qui sera menée dans la période à venir. Dans les années 2000, le gouvernement avait adopté une stratégie d’économie sociale de marché qui devait combiner libéralisme et filet social, même si ce dernier aspect a été graduellement oublié. Aujourd’hui, il ne dit pas clairement où il veut aller. Les décisions adoptées ces dernières années ont mené à une baisse des subventions accordées aux secteurs productifs et aux consommateurs, ainsi qu’à un renforcement des secteurs immobilier et des services, mais cela n’est pas assumé dans le discours public.

Le gouvernement syrien est en tout cas très dépendant de ses alliés, ce qui le contraindra sans doute à formuler une stratégie et définir des priorités en fonction de leurs besoins. Alors que le secteur de l’immobilier est une priorité évidente, les Russes et les Iraniens par exemple sont beaucoup plus intéressés par un accès aux ressources énergétiques et minières du pays. Ainsi, l’un des seuls résultats d’une rencontre récente entre officiels russes et syriens dans la ville balnéaire de Sotchi a été un accord sur la reconstruction de la ligne de chemin de fer entre la ville Palmyre et le port de Tartous, afin de favoriser les exportations de phosphate, extrait par des entreprises russes.

Les déclarations des ministres à la fin de la réunion n’ont pas été très rassurantes sur l’état d’avancement des projets de reconstruction, même si certains soutiendront que le simple fait que le gouvernement se saisisse enfin du sujet soit un bon signe en soi.


L’échelon local


Quand le comité pour la reconstruction a été mis en place, il était présidé par le vice-Premier ministre en charge du secteur des services, mais il a été depuis remplacé par le ministre de l’Administration locale. Cette nomination pourrait indiquer que la reconstruction se ferait par l’entremise des administrations locales (villes, gouvernorats) plutôt que par le gouvernement central. En faisant ce choix, le gouvernement a semblé prendre acte de l’affaiblissement de l’État central et de ses institutions, et de l’émergence de pouvoirs locaux dans tout le pays, y compris à travers les milices ou les ONG créées ici et là par de puissants hommes d’affaires liés au régime (voir Le Commerce du Levant de mai 2017).

Mais selon certains analystes, le gouvernement cherche plutôt à contourner les réticences de la communauté internationale qui serait peu encline à verser des fonds au gouvernement et voudrait favoriser une certaine autonomie au niveau local. Il se trouve par ailleurs que le ministre de l’Administration locale, Hussein Makhlouf, est un proche de Bachar el-Assad et de son cousin Rami Makhlouf.


Pas de début proche pour la reconstruction syrienne


Fondamentalement, en dépit des discours des officiels syriens et des espoirs des hommes d’affaires de toute la région, rien n’indique que le processus de reconstruction est sur le point de s’enclencher. La situation syrienne actuelle est à comparer, à titre d’exemple, à celle du Liban à la fin de sa guerre civile. La reconstruction libanaise a été pilotée par un homme, Rafic Hariri, qui était au centre des réseaux internationaux politiques et d’affaires ; il agissait, en partie, comme véhicule d’influence d’une puissance régionale au coffre plein, l’Arabie saoudite, et il avait une vision claire de ce qu’il voulait faire du Liban, un centre d’intermédiation financière et commerciale entre le monde arabe et l’Europe – quoi qu’on puisse penser de la pertinence de cette stratégie. Le tout était bâti sur une résolution politique du conflit libanais, là encore en dépit de ce qu’on peut penser des accords de Taëf. Or, dans le cas syrien, aucun de ces éléments – ni une résolution politique, ni le financement, ni l’accès aux réseaux internationaux, ni la stratégie – n’est présent, sans parler évidemment des sanctions occidentales qui paralysent de nombreux opérateurs.