Le budget 2017 ne va pas inverser la courbe du déficit, ni amorcer un changement notable. Au contraire, les dépenses ont été revues à la hausse, tandis que quelques mesures proposées pour lutter contre l’évasion fiscale ont été écartées par les députés.

Alain Bifani : « Il faut que les lois-programmes soient examinées  au Parlement en tant  que textes indépendants et le budget doit  simplement refléter  le montant alloué  à ces projets »
Alain Bifani : « Il faut que les lois-programmes soient examinées au Parlement en tant que textes indépendants et le budget doit simplement refléter le montant alloué à ces projets » Greg Demarque

Voté à moins de trois mois de la fin de l’année, le budget de l’exercice 2017 comptabilise dans une grande mesure des dépenses et des recettes déjà engagées. Mais dans un pays où la dernière loi de finance était celle de 2005, « le simple fait d’avoir un budget est une avancée. Cela permet un retour à la normale au niveau institutionnel », se félicite le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani. Cela a permis aussi aux députés d’exercer enfin leur droit de regard sur les finances publiques. Mais le résultat n’est pas très probant. Au départ, le projet de budget envoyé au Parlement ne portait pas d’ambition particulière, ni de réformes notables. Après l’avoir examiné pendant près de cinq mois, la commission parlementaire avait toutefois promis de réduire le gaspillage. Son président, Ibrahim Kanaan, avait annoncé en fanfare être parvenu à baisser les dépenses de près de 663 millions de dollars, grâce notamment à des coupes dans les aides publiques octroyées aux associations, dont une grande partie alimente, selon lui, le clientélisme. Autre vivier d’économies identifié : les réserves budgétaires, des sommes non affectées destinées à couvrir les dépenses imprévues, et dont le montant représentait plus de 6,2 % du budget, alors que le seuil minimum est fixé dans la loi à 1 %. Enfin, le rééchelonnement du projet de fibre optique sur quatre ans au lieu de trois devait lui aussi permettre de baisser le budget annexe du ministère des Télécommunications, qui n’est pas consolidé dans le budget principal, mais dont les excédents sont transférés au Trésor. La discipline budgétaire proposée par la commission était présentée comme une prouesse dans un pays où la dette publique représente 148 % du PIB.

Ouverture du robinet

Mais les mesures proposées n’ont pas résisté au débat budgétaire. En séance plénière, les députés ont approuvé la baisse d’environ 100 millions de dollars en 2017 dans le budget annexe des Télécoms. En revanche, au niveau du budget principal de l’État, ils n’ont adopté que des coupes minimes, de l’ordre de 14,3 millions de dollars, tandis que le niveau des réserves budgétaires est resté inchangé. Par contre, des dépenses additionnelles ont été décidées durant la séance. Cela est contraire à la Constitution, mais la classe politique n’en est pas à une violation près. Résultats des courses : au lieu de baisser, les dépenses budgétaires ont augmenté de 154,6 millions de dollars par rapport au projet de budget ! Les recettes ont également été revues à la hausse pour refléter certains changements décidés aussi en séance, mais seulement de 21,2 millions de dollars.

Le budget 2017 tel qu’adopté table désormais sur un déficit public en hausse de 133,3 millions de dollars par rapport à celui qui était initialement prévu, à 4,97 milliards de dollars, battant le record du déficit de 4,94 milliards de dollars enregistré en 2016. Étant donné la forte hausse prévue des dépenses (+6,6 % à 15,85 milliards de dollars), le ratio du déficit sur les dépenses devrait baisser à 31,33 % des dépenses, contre 33,3 % en 2016. Les recettes, elles, sont désormais prévues à 10,89 milliards de dollars (+9,8 %).

Si sur les chiffres, l’intervention de la commission parlementaire n’a pas ses fruits, au niveau d’autres articles de la loi, son apport a été plus décisif.

Cavaliers budgétaires et cadeau fiscal

Ibrahim Kanaan avait critiqué l’existence de plus d’une soixantaine de “cavaliers budgétaires”, des dispositions législatives qui n'ont normalement pas leur place dans le cadre d'une loi de finance. Il s’agit dans la plupart des cas de mesures fiscales intégrées dans le budget pour permettre leur adoption plus rapidement, sans discussions de fonds sur leurs implications. La plupart d’entre elles ont été écartées par la commission, puis lors de la séance plénière. Certaines avaient pourtant pour objectif de limiter l’évasion fiscale. C’est le cas de la hausse de l’impôt forfaitaire sur les sociétés offshore à 5 millions de livres libanaises, contre un million actuellement.

« Cette taxe, qui reste minime, n’aurait pas eu d’impact majeur sur les offshores qui ont une réelle activité, mais elle aurait permis d’éliminer les sociétés fantômes et les coquilles vides », regrette Alain Bifani.

Selon lui, la mesure portant sur une avance de 1 % au titre de l'impôt sur les bénéfices sur chaque opération d'importation au moment où elle est réalisée visait aussi à réduire la fraude fiscale, mais les députés n’étaient pas de cet avis. Le ministère a également perdu la bataille de la suppression du délai de prescription sur le recouvrement des créances dues au fisc, qui est resté à quatre ans.

En revanche, les élus se sont empressés d’approuver un cadeau fiscal pour les sociétés et les personnes physiques (qui tiennent une comptabilité régulière) qui veulent réactualiser leurs actifs. À partir de la promulgation du budget, ils auront un an pour le faire en ne payant que 5 % sur la plus-value réalisée, contre un taux actuel de 10 %. Cette mesure est censée atténuer les effets de l’entrée en vigueur du nouvel impôt sur les plus-values des transactions immobilières (à 15 %) adopté dans la loi fiscale pour financer la grille des salaires.

Les députés ont également voté un article introduit par la commission parlementaire des Finances. Il permet une réduction allant jusqu’à 90 % du montant des amendes fiscales (administration fiscale, municipalités et mécanique), à la fois pour les pénalités de recouvrement – imposées à l’issue d’un contrôle fiscal lorsqu’un contribuable n’a pas, ou mal, déclaré ses revenus – et les pénalités de retard. Cette pratique avait été introduite après la guerre pour inciter les contribuables à payer ce qu’ils doivent à l’administration fiscale, mais elle était appelée à disparaître avec le développement du civisme fiscal. La commission des Finances avait d’ailleurs ajouté que la réduction sera octroyée « pour la dernière fois », mais cette mention a été rayée par les parlementaires en cours de séance.

« Cet amendement va inciter les contribuables à ne pas payer leurs impôts », fustige Alain Bifani.

Plus de transparence

Un autre amendement de la commission, mais pas fiscal cette fois, a également été modifié durant la séance plénière. Il s’agit de l’article 5 du budget qui depuis les années 2000 autorise le gouvernement à s’endetter pas seulement à hauteur du déficit budgétaire, comme c’était le cas jusque-là, mais aussi celui du Trésor. Le Trésor étant la caisse de l’État, il n’a pas de limite. Cet article permettait par conséquent à l’État de s’endetter sans devoir se conformer au plafond du déficit. Ibrahim Kanaan souhaitait réinstaurer ce plafond pour contrôler l’endettement public, mais les députés ont joué sur les mots sans en modifier le sens. Ils ont remplacé l’ancienne formule par à « hauteur du déficit budgétaire et monétaire ».

Seule victoire peut-être pour la commission des Finances : l’adoption d’une disposition relative aux prêts subventionnés destinés aux secteurs productifs. Depuis 2001, la Banque du Liban subventionne les taux d’intérêt des crédits accordés à des entreprises touristiques, industrielles, agricoles ou technologiques, à travers les banques commerciales. Mais le coût de la subvention, 133 millions de dollars en 2017, est supporté par le Trésor. Or ce dernier n’avait jusque-là pas son mot à dire. La commission a obtenu que les modalités et les conditions d’octroi soient fixées par décret sur recommandation du ministère des Finances. « Cet amendement permet davantage de transparence sur les dépenses du Trésor relatives à ce poste », souligne Alain Bifani.

Et le budget 2018 ?

Malgré donc un bilan mitigé, la commission parlementaire des Finances s’est félicitée du vote du budget en espérant que ces remarques seront davantage prises en compte dans le budget 2018. Le projet de budget a été envoyé au Conseil des ministres le 31 août, et le gouvernement dit vouloir l’adopter et l’envoyer au Parlement dans les délais constitutionnels. « Il ne faut pas s’attendre à des coupes drastiques, notamment pas dans les réserves budgétaires », prévient Alain Bifani. Ces dernières devraient notamment inclure le coût de la révision de la grille des salaires, puisque au moment de l’élaboration du projet, les administrations n’étaient pas encore en mesure d’en évaluer précisément les implications financières. « En réalité, ce qui compte ce n’est pas tant que les réserves budgétaires représentent 1 % des dépenses, mais que les dépenses et les recettes soient budgétées de la manière la plus précise possible », ajoute Alain Bifani.

Le directeur général du ministère des Finances promet toutefois qu’il n’y aura pas de “cavaliers budgétaires” ni de lois-programmes adossés au projet de loi comme c’était le cas pour le budget actuel. Les lois-programmes sont censées couvrir des projets d’investissements publics d’envergure échelonnés dans le temps et doivent normalement être discutés distinctement. Or, le budget 2017 comprend une quinzaine de lois similaires, dont certaines portent sur des montants minimes, ou des projets de maintenance, selon Ibrahim Kanaan.

« Il faut que les lois-programmes soient examinées au Parlement en tant que textes indépendants et le budget doit simplement refléter le montant alloué à ces projets », reconnaît Alain Bifani.

En revanche, pour avoir une vraie vision budgétaire, il faudra encore s’armer de patience. « Le budget 2018 comportera plus d’économies que le budget 2017, mais pour ce qui est des grandes réformes qui entraîneront un changement profond, il faudra attendre le budget 2019, je l’espère. Pour instaurer des réformes, il faut une structure entière autour, il ne faut pas se contenter des effets d’annonce.

Et cela ne veut pas seulement dire de réduire les dépenses publiques, mais aussi instaurer des réformes qui portent une vraie vision économique et budgétaire », conclut-il.




Les dépenses supplémentaires décidées en séance plénière

Durant le débat budgétaire, des dépenses non prévues dans le projet de budget ont été ajoutées et votées : 94 millions de dollars pour l’armée et les organes sécuritaires, 68,8 millions de dollars pour la dépollution du fleuve Litani et 6,6 millions de dollars octroyés à la Croix-Rouge libanaise, soit un total de 169,4 millions de dollars. En échange, ils ont décidé de couper dans certaines dépenses, pour un montant total de 14,3 millions de dollars. Ils ont notamment annulé une loi-programme prévoyant l'achat d'équipements pour le transport public pour un montant total de 6,6 millions de dollars et réduit le budget du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) au sein du ministère de l’Économie de 300 000 dollars.