André Breton vivait dans un appartement croulant sous les bibelots et les objets d’art. Pêle-mêle, sur ses murs, se trouvaient exposés un os de baleine gravé, une boîte de cigale momifiée, des masques ou des amulettes, des peintures de ses amis comme Miro ou Picabia… « Et d'ailleurs la signification propre d'une œuvre n'est-elle pas, non celle qu'on croit lui donner, mais celle qu'elle est susceptible de prendre par rapport à ce qui l'entoure ? » avançait André Breton dans sa nouvelle “Les Pas perdus” (1924).

Tony et Elham Salamé, puissants collectionneurs d’art contemporain (Fondation Aïshti, du nom du groupe de luxe que ce businessman dirige), partagent avec le chef de fil du surréalisme français cette croyance. C’est, en tout cas, l’idée fondamentale derrière leur dernière expo, “The Trick Brain”, que Massimiliano Gioni, directeur du New Museum de New York, a organisé à partir des récentes acquisitions du couple.

Comme dans l’appartement d’André Breton, les œuvres ici se répondent entre elles, prenant chaque fois un sens différent. C’est ce qui se passe avec la vidéo d’Ed Atkins, projetée au dernier étage de la fondation. Dans cette vidéo, l’artiste d’à peine 35 ans, obsédé des jeux vidéo, refait le tour de l’appartement d’André Breton dans un hommage étonnant.

Cette improbable corrélation entre deux artistes de génération et de pays différents en suggère d’autres : on peut ainsi voir des connivences entre les époustouflants autoportraits de Cindy Sherman accrochés au premier étage et les abstractions sereines de Wolfgang Tillmans, l’artiste allemand, dont pas moins d’onze photographies sont ici présentées. On pourrait revenir chaque semaine dans les parages de Jal el-Dib pour juste contempler ces deux-là.

Mais ce serait se priver d’autres rencontres avec notamment de plus jeunes talents comme le plasticien danois Danh Vo. Dissimulée dans un recoin, face à la mer polluée de Bourj Hammoud, ses drapeaux américains dorés à la bombe sur des cartons de bières mexicaines, ont quelque chose d’inattendu. Peut-être justement parce que cette installation se dissimule derrière une œuvre de Tillmans. On croit alors y voir une forme de violence muette derrière la sérénité ; les miettes du mythe américain derrière une nature morte.

Fondation Aïshti, The Trick Brain, route de la mer, Jal el-Dib, jusqu’au 22 octobre 2018.