Les fêtes de fin d’année approchent et voici l’angoisse du cadeau à trouver pour l’oncle grincheux qui refait surface. Une idée pourrait vous sauver la mise : la carte cadeau. Largement répandu dans le monde, cet outil se développe de plus en plus au Liban. Un succès qu’il doit à sa facilité d’emploi et au potentiel financier qu’il représente pour les entreprises. Désormais, même les banques s’y mettent.

À l’approche des fêtes, la question traverse tous les esprits : comment faire plaisir à ses proches et éviter comme l’année dernière que la paire de chaussettes brodées ne finisse au fond d’un placard, ou pire à la poubelle ? N’en déplaise à l’esprit de Noël, cela est désormais possible sans même devoir déposer sous le sapin un encombrant paquet cadeau. Comment ? En achetant une carte cadeau, un outil qu’on retrouve désormais dans l’attirail marketing de presque toutes les grandes enseignes.

Difficile de chiffrer l’ampleur du phénomène à l’échelle du pays. Mais si on en croit Abed Bibi, fondateur avec Hussein Makiya de l’unique plate-forme de cartes cadeaux du Moyen-Orient, yougotagift.com, le phénomène se développe dans la région, avec des ventes en hausse d’environ 5 % par an, en valeur. Alors que dans les pays occidentaux, notamment les États-Unis, ces cartes sont au cœur des pratiques marketing des enseignes depuis au moins une trentaine d’années. « Chez nous, il s’agit d’un procédé relativement nouveau, qui date de moins d’une dizaine d’années », poursuit-il.

Au niveau mondial, le cabinet d’analyses américain Global Markets estime les revenus du g-commerce (“g” pour gift, cadeau en anglais) sous toutes ses formes (chèques cadeaux, cartes, programmes de fidélisation…) à 307 milliards de dollars par an, avec une croissance annuelle moyenne prévue de 10,8 % d’ici à 2024. « Un déplacement s’est opéré chez le consommateur, explique Joël Bree, intervenant à l’École supérieure des affaires (ESA) de Beyrouth et professeur de marketing à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Caen. Aujourd’hui, l’acte d’offrir a pris le pas sur l’objet en lui-même. Le cadeau est devenu secondaire. »

Fidélisation clients

Au niveau du consommateur, la clé du succès de la carte cadeau est à chercher du côté de sa simplicité d’utilisation. Il suffit de se rendre dans l’enseigne de son choix pour retirer une carte cadeau, qu’on sélectionnera en fonction du montant ou des thèmes (sports, alcools, beauté…) souhaités. Ne restera ensuite qu’à l’offrir à l’heureux élu. Depuis peu, les enseignes personnalisent même leurs cartes – le choix des messages, de couleurs, de photos… – afin de transformer ce qui n’est au final qu’un trivial “outil de paiement” en un objet de célébration, à caractère unique. « Le consommateur n’est plus seulement dans une logique d’achat d’un produit, il est aussi – très souvent inconsciemment – en quête d’un souvenir, d’un moment agréable passé dans un magasin grâce à une série d’expériences sensorielles façonnées par l’enseigne. La carte lui offre cette possibilité, sans avoir à se soucier du prix qu’il aura à dépenser », poursuit Joël Bree. Mais la carte cadeau ne se serait pas tant développée, si elle ne représentait pas un précieux outil de fidélisation pour les entreprises. « Il est souvent difficile de trouver le bon cadeau, fait valoir Joy Yazbeck, directeur marketing chez Khoury Home, qui a conçu plusieurs cartes cadeaux pour différents budgets depuis 2013. Cette offre nous permet de renforcer la fidélité de nos clients, mais aussi d’en attirer de nouveaux. »

Une étude réalisée en France par Trifecta Research Group, en 2014, a non seulement confirmé l’appétit des consommateurs, avec 59 % des personnes interrogées préférant une carte à un autre cadeau, elle a aussi révélé les enjeux en termes d’acquisition de nouveaux clients. Grâce aux cartes cadeaux, 28 % des personnes interrogées se sont rendues dans une enseigne dont ils connaissaient l'existence, sans jamais y être allés. Mieux encore, 10 % des personnes interrogées sont devenues des clients récurrents d'une marque qu’elles ne fréquentaient pas auparavant.

Profitabilité accrue

L’enjeu financier n’est pas moins important. Les paiements se font “up front”, avant même l’achat du produit. Et « contrairement à un cadeau traditionnel qui comporte une marge possible de déception, la carte cadeau assure à son bénéficiaire un vaste éventail de choix. La personne qui offre est donc prête à payer à plus cher, car elle est sûre de ne pas décevoir », décrypte Joël Bree. Le bénéficiaire de la carte cadeau est lui aussi un bon client. Lors de son passage en caisse, il a tendance à dépenser davantage que le montant enregistré initialement, 15 à 20 % de plus, selon des études menées en France. Cette profitabilité se renforce encore d’un cran quand on sait que 10 % des bénéficiaires de ces cartes prépayées ne viendront jamais les échanger contre des marchandises, si on en croit GFK Group, un cabinet de recherches et d’analyses spécialisé dans le secteur de la distribution et la restauration.

Au Liban, les premiers à avoir compris l’intérêt de ce puissant outil sont les grosses enseignes de distribution à l’image de l’ABC, qui a ouvert la voie dès 2007. Avec un joli succès : « Les ventes de cartes ont augmenté de 40 % par an depuis le lancement il y a quelques années », se félicite l’enseigne, qui affirme avoir écoulé 75 000 unités pour la seule année 2016. À elle seule, la saison de Noël représente 25 % des ventes.

Face à ce potentiel, les banques se sont à leur tour engouffrées sur le créneau, profitant d’un avantage certain pour imposer leur prestation : leurs cartes ne se limitent pas à une seule enseigne, mais offrent un mode de paiement multi-enseigne au Liban, voire dans le monde entier. « Notre carte combine à la fois les avantages d’une carte cadeau et d’une carte visa internationale, souligne Jocelyne Chahwan, directrice générale adjointe de la Blom Bank et directrice de la banque de détail. Son utilisation n’implique aucuns frais supplémentaires et elle marche aussi bien au Liban qu’à l’étranger. » La validité de ces cartes bancaires ne dépasse jamais plus d’un an et elles sont plafonnées. « C’est un produit populaire surtout pour les mineurs, détaille Myrna Wehbé, directrice de la monétique de la Banque libano-française. Elle leur permet d’avoir leur propre carte, de pouvoir voyager, sans nécessairement avoir besoin d’un accès aux comptes bancaires. » Preuve de son succès grandissant, la carte cadeau n’est plus le seul apanage de particuliers en quête de l’offrande idéale. Les entreprises s’adonnent aussi à ce plaisir coupable, considérant son emploi comme un “plus” intéressant, voire nécessaire pour motiver des collaborateurs, entretenir la fidélité des clients d’affaires ou séduire des prospects. L’enjeu n’a rien d’un épiphénomène : dans le monde, le “B to B” représente quelque 25 à 30 % du chiffre d’affaires global du secteur des cartes cadeaux.

Au Liban, où aucun chiffre en la matière n’est accessible, il y a un intérêt balbutiant pour ces cadeaux d’entreprises. Parmi les quelques exemples connus, celui de la chaîne de supermarché Spinneys. Le groupe au logo jaune et noir a axé le développement de ses gift cards sur les entreprises. Et cela fonctionne : la grande majorité des 15 000 cartes cadeaux qu’elle a vendues l’an passé ont été acquises par des sociétés qui « désirent les offrir à leurs employés pour les aider ou les récompenser, voire leur octroyer lors de remises de prix », indique dans un e-mail Ralph el-Kahi, responsable marketing chez Spinneys. Cet outil va sans doute évoluer dans les années à venir. La carte cadeau n’échappera pas au phénomène de dématérialisation des modes de paiement et des flux financiers. C’est du moins l’opinion de Abed Bibi. L’homme d’affaires libano-palestinien, qui a développé la plate-forme yougotagift.com, ne s’en plaint pas. Il assure que les ventes de cartes cadeaux digitales connaissent aujourd’hui 25 % de croissance annuelle dans la région. « C’est une étape supplémentaire vers leur simplification. Avec une carte cadeau numérique, vous n’avez même plus à passer dans le magasin de votre choix. Vous commandez juste sur internet ! » Sans compter que le modèle digital répond à merveille à une spécificité des pays du Moyen-Orient : leurs diasporas éparpillées dans tous les coins du monde. « Avec une e-card, vous pouvez être au Brésil et envoyer au Liban un cadeau en un seul clic ou presque », ajoute Abed bibi. Bien sûr, l’homme d’affaires prêche pour sa paroisse. Mais des instituts internationaux corroborent ses assertions. Selon l’étude de Global Markets, la véritable croissance du marché viendra précisément de son secteur numérique avec une croissance de plus de 20 % par an d’ici à 2024 et des revenus annuels de l’ordre de 20 milliards de dollars par an. 

Wonder.full : des expériences en boîte

Wonder.full propose une alternative aux cartes cadeaux en surfant sur la vague des cadeaux dématérialisés. La société fondée en 2015 par Saria Moutran – lauréate en 2016 du prix Femme francophone entrepreneure dans la catégorie start-up – offre des activités sélectionnées auprès d’une cinquantaine d’établissements libanais. D’une valeur de 75 à 260 dollars, les huit coffrets cadeaux classés par thèmes (gourmet, aventure, glamour créativité…) proposent des expériences aussi diverses qu’une randonnée dans la vallée de la Qadisha, une course de karting, ou des ateliers créatifs de céramique ou chez un chocolatier. « Nos clients sont des gens pressés, ils veulent vivre des expériences, mais n’ont pas forcément le temps de s’occuper de toute la logistique, de trouver un lieu, de réserver, nos coffrets leur permettent d’avoir juste à choisir une activité préselectionnée et bénéficier d’une formule toute prête », explique Saria Moutran. La fondatrice affirme avoir écoulé en deux ans près de 1 500 coffrets Wonder.full et continue de se développer. « Le mois de décembre concentre 30 % des ventes, mais nous parvenons désormais à cibler davantage les anniversaires et les dîners tout au long de l’année. »