Dans un contexte de chute des réserves en devises et d’amélioration sur le front sécuritaire, le gouvernement syrien encourage la production manufacturière locale pour réduire les importations.

La réouverture du souk historique d'Alep le 16 novembre.
La réouverture du souk historique d'Alep le 16 novembre. George Ourfalian / AFP

La réduction des tarifs douaniers sur l’importation de tissus décidée par le gouvernement à la fin du mois de septembre a révélé les intérêts contradictoires de la communauté des affaires mais aussi paradoxalement confirmé une politique de plus en plus orientée vers la production manufacturière locale.

En juin, le décret gouvernemental 172 a baissé de 50 % les tarifs douaniers d’une liste d’intrants industriels avec l’objectif de réduire les coûts de production des industriels et de rendre leurs produits plus compétitifs. En septembre, les tissus ont été ajoutés à cette liste au prétexte qu’ils doivent être considérés non pas comme des produits finis, mais comme des intrants servant à la production d’autres produits textiles tels les habits.

La mesure a soulevé une opposition virulente de la part d’industriels de la ville d’Alep, qui est le centre de production de tissus du pays. Ceux-ci accusent les commerçants damascènes d’avoir poussé le gouvernement à adopter la mesure, « au détriment de la production locale », et préviennent que de nombreuses usines vont fermer et entraîner la perte de milliers d’emplois.

Cette décision met en lumière la rivalité ancienne entre commerçants damascènes et industriels alépins, ainsi que les intérêts divergents entre industriels se situant à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement – les producteurs de tissus et ceux d’habits –, mais elle reflète aussi une volonté de plus en plus claire de la part du gouvernement d’encourager la production manufacturière locale. Les ateliers et usines d’habillement sont en effet bien plus nombreux et emploient beaucoup plus de personnes que ceux de tissus.

Dès mai 2011, quelques semaines après le début du soulèvement, le président syrien Bachar el-Assad avait annoncé sa volonté de revenir sur la libéralisation du commerce extérieur pour contrer, selon ses termes, le dumping pratiqué par les partenaires commerciaux de la Syrie et protéger l’industrie locale. S’en est suivi au cours des années suivantes toute une série de mesures contradictoires et à l’impact très relatif (voir Le Commerce du Levant de juillet 2013).

Cette politique s’était en effet heurtée aux intérêts des élites d’affaires proches du régime qui sont particulièrement actives dans le commerce d’importation (voir Le Commerce du Levant d’octobre 2016), mais aussi à la destruction du tissu industriel et donc au rationnement de nombreuses denrées.

Le tournant de 2016

Cependant, depuis la seconde moitié de l’année dernière, le gouvernement cherche à encourager de manière beaucoup plus affirmée la production locale et à imposer une politique de substitution des importations.

Cette clarification répond d’abord à une urgence : la chute massive des réserves en devises qui, selon la Banque mondiale, sont passées de 20 milliards de dollars fin 2010 à 700 millions de dollars fin 2015, un chiffre confirmé par le ministre des Finances.

Par ailleurs, contrairement aux années précédentes, le gouvernement peut maintenant capitaliser sur un environnement devenu plus bénéfique pour les industriels. La fin des batailles dans la plus grande partie des zones Ouest du pays, en particulier à partir de décembre 2016 dans et autour de la ville d’Alep, a permis à de nombreux industriels de relancer leurs activités. La baisse du nombre de barrages routiers a facilité aussi le transport et réduit les coûts de production.

D’autre part, depuis le printemps dernier, les troupes du régime ont repris à l’État islamique le contrôle de nombreux champs gaziers situés dans la zone centrale du pays. Cela a permis une augmentation de la production gazière et, par conséquent, de l’énergie électrique. Les coupures de courant étaient donc de moins en moins nombreuses – même si l’arrivée de l’hiver et la croissance de la demande de chauffage devraient à nouveau inverser la tendance –, ce qui réduit l’utilisation des générateurs électriques et permet d’avoir des coûts de production plus compétitifs.

Un soutien multiforme

Le soutien du gouvernement à la production locale a pris plusieurs formes.

En avril, l’importation de machines et d’équipements industriels a été exonérée de tarifs douaniers avec l’objectif de réduire les coûts d’investissements. Cette mesure a été amplifiée en septembre avec l’autorisation accordée aux industriels d’importer des machines de seconde main. Jusque-là, le gouvernement refusait l’importation de machines d’occasion, car celles-ci consomment plus d’énergie et requièrent l’achat plus fréquent de pièces de rechange importées. Mais l’urgence est de redémarrer l’activité au plus vite en réduisant autant que possible les coûts d’investissement.

Le gouvernement a aussi introduit en juin le décret 172 qui baisse le coût des intrants industriels et autorisé l’importation de coton égrené pour parer à la chute dramatique de la récolte syrienne qui ne couvre plus la demande.

Par ailleurs, malgré le manque de ressources financières, un effort particulier a été alloué à la réhabilitation de l’infrastructure des zones industrielles situées aux abords des villes de Damas, Homs et Alep. Un appel d’offres a ainsi été publié pour la fourniture de turbines électriques d’une capacité de 28 MW pour assurer une fourniture ininterrompue de courant à Sheikh Najjar, la ville industrielle d’Alep.

Les autorités poussent aussi à la réouverture du poste frontalier de Nassib avec la Jordanie. Cette réouverture aurait de nombreuses conséquences économiques, politiques et sécuritaires, mais permettrait en particulier l’acheminement de produits manufacturiers syriens vers les pays du Golfe, qui représentaient un important marché pour les exportateurs syriens avant 2011.

L’expression la plus explicite de la nouvelle stratégie de substitution des importations est venue du Premier ministre Imad Khamis, qui a affirmé le 5 novembre, lors d’une visite à la zone industrielle d’Adra, aux abords de Damas, que le gouvernement allait réunir une centaine d’investisseurs locaux pour leur proposer d’investir dans la production de 32 produits qui sont actuellement importés. La liste des produits n’a pas été rendue publique et M. Khamis n’a pas précisé quelles facilités allaient être accordées, mais l’idée est de réunir des investisseurs et les capitaux nécessaires pour relancer l’industrie.

Un fébrile regain d’activité

Les données couvrant les neuf premiers mois de l’année publiées par le ministère de l’Industrie pourraient laisser penser que les efforts du gouvernement commencent à porter leurs fruits.

Selon le ministère, 564 nouvelles entreprises industrielles ont commencé à produire cette année contre 500 durant la même période de 2016, ce qui représente une augmentation de 12,8 %. Le capital de ces entreprises est de 13,3 milliards de livres syriennes à comparer avec 9,5 milliards en 2016 (+40 %).

Il faut cependant relativiser. Mesuré en dollars, le capital des entreprises créées est de seulement 26 millions de dollars, reflétant la taille extrêmement petite de ces entreprises qui sont en grande partie de simples ateliers. Par ailleurs, il faut mettre ces chiffres en perspective avec ceux de 2010, année durant laquelle 5 672 entreprises industrielles avaient été créées.

L’adoption d’une politique de substitution des importations ne serait pas une nouveauté en Syrie. C’est en partie sur cette base que l’industrialisation du pays avait été lancée durant les années 1960 et 1970, puis renforcée durant les années 1980 quand, déjà, les réserves en devises avaient chuté de manière drastique. La situation économique et financière du pays laisse de toute manière peu de choix aux autorités.

Il est cependant peu probable que cette politique puisse être menée de manière aussi radicale que ne le souhaiteraient certains officiels du gouvernement. L’intérêt des élites affairistes du pouvoir, qui sont surtout actives dans les secteurs du commerce, des services et de la construction, est en jeu.

Ainsi, pour les investissements dans la trentaine de grandes zones de développement immobilier identifiées par le gouvernement et qui sont promises à ces élites, le gouvernement autorise sans limite l’importation de matériaux de construction, alors qu’elle est interdite pour les investissements à l’extérieur de ces zones.