Dans un article publié par le Fonds monétaire international (FMI), ses auteurs estiment que les problèmes structurels de l’économie libanaise sont dus à sa dépendance vis-à-vis des remises des expatriés, qui représentaient tout de même en 2016 13,1 % du PIB. L’article évoque le piège des remises qu’il compare à la “maladie hollandaise”, soit l’installation d’un pays dans une économie de rente, en particulier quand il s’adosse à une ressource naturelle en délaissant d’autres secteurs.

Bien sûr, le Liban ne bénéficie pas à ce jour d’une ressource naturelle susceptible de le faire vivre. Mais il possède l’équivalent : les transferts réguliers de devises à destination des familles des expatriés. Pour les auteurs de l’article, ces transferts ‒ 7,1 milliards de dollars en 2017, en baisse de 7 % par rapport à 2016, selon les chiffres de la Banque du Liban ‒ ont certes un impact positif à court terme sur la consommation et la croissance, mais ils créent un cercle vicieux pour l’économie, encourageant toujours davantage de jeunes diplômés à émigrer et affaiblissant les industries productives locales face à la concurrence internationale.

Le pays exporte en effet ses travailleurs qualifiés au lieu des marchandises produites par ces travailleurs. Avec des remises de plus de six milliards de dollars par an en moyenne (soit tout de même 16 % du PIB) lors de la dernière décennie, le Liban est l’un des principaux pays récipiendaires des remises des expatriés. En 2016, il a reçu l’équivalent de 1 500 dollars en provenance de l’étranger par habitant. Ces remises représentent en moyenne plus de 40 % du budget des ménages qui les reçoivent, selon le FMI.

Pas surprenant, dans ces conditions, que ces remises jouent un rôle central dans l’économie du Liban. « Elles ont incontestablement joué un rôle stabilisateur dans un pays qui a connu une guerre civile, des invasions et des crises de réfugiés au cours des dernières décennies. Les remises sont également une source principale d’entrée de devises étrangères, 50 % plus importante que les exportations de marchandises. Cela a permis au Liban de maintenir un taux de change stable (de la livre par rapport au dollar) malgré une dette publique élevée », écrivent les auteurs de l’étude.

Mais si les remises ont aidé l’économie libanaise à absorber certains chocs, rien ne démontre qu’elles aient constitué un moteur de la croissance. De 1995 à 2015, le PIB par habitant du Liban n’a en effet augmenté que de 0,32 % en moyenne par an. Même entre 2005 et 2015, décennie fastueuse pour l’économie, le PIB n’a augmenté que de 0,79 % en moyenne par an. « Même si le pays a d’autres problèmes qui impactent sa croissance, les remises apparaissent davantage comme un facteur minant la croissance plutôt qu’une simple conséquence de sa faiblesse. Les remises pourraient même jouer un rôle d’amplificateur d’autres problèmes qui entravent la croissance », affirment les auteurs.

Au Liban, ces rentrées sont un des principaux leviers de la consommation des ménages, ce qui fait augmenter la demande de produits de consommation, créant ainsi une pression sur les prix. « L’entrée de devises et la hausse des prix rendent les exportations moins compétitives, ce qui fait baisser la production locale », souligne l’article.

Or, les remises ont aussi un impact sur l’incitation au travail. Plus elles sont importantes, plus les travailleurs sont enclins à demander des salaires plus importants pour accepter un emploi, ce qui accentue la pression sur le niveau des prix et réduit la compétitivité des exportations. Les industries productives soumises à la concurrence internationale se retrouvent affaiblies vis-à-vis de celles qui n’opèrent que sur le marché local. Résultat, le nombre d’opportunités d’emploi hautement qualifié et bien payé, qui sont surtout offertes par les industries productives visant le marché extérieur, baisse, tandis que le nombre d’opportunités d’emploi peu qualifié et sous-payé augmente. « Cette transformation du marché du travail encourage par conséquent les travailleurs qualifiés à la recherche d’opportunités de travail mieux rémunéré à émigrer, au moment où la hausse des prix et la perte de compétitivité des industries locales nécessitent davantage d’importations, ce qui affecte la croissance. Une situation qui encourage davantage de membres de la famille à émigrer pour aider leurs proches à supporter un coût de la vie plus élevé », déplorent les auteurs de l’étude qui dénoncent un évident cercle vicieux.