(Photo : Marianne Harmony Zammaria)
(Photo : Marianne Harmony Zammaria)

« À mon arrivée aux États-Unis, je n’avais que 1 000 dollars en poche et aucune idée de la manière dont j’allais survivre au quotidien », s’amuse Rania Hoteit. Elle ne connaissait personne non plus dans son nouveau pays d’accueil-: pas de parents, pas d’amis qui pourraient l’aider à s’en sortir.

Pourtant, quinze ans plus tard, celle qui enchaînait les “student jobs” pour survivre les premières années est à la tête d’ID4A (Ideate, Design, Automate) Technologies qu'elle a fondée.

Son secteur ? Transversal. ID4A Technologies imagine, conçoit et automatise des solutions logicielles pour la fabrication robotique et le développement de produits allant du concept à la fabrication et la distribution.

Mais cela n’empêche pas son succès : en janvier 2019, ID4A Techologies, qui emploie quelque 265 salariés, a été classée 29e sur 100 entreprises à grand impact en Amérique du Nord selon le magazine Real Leaders.

L’entreprise a aussi fait parti du classement des 5 000 entreprises privées à la croissance la plus rapide des États-Unis en 2018 selon Inc. Magazine. Avec 327 % de croissance de son activité entre 2014 et 2017 et un chiffre d’affaires de 12,7 millions de dollars en 2018, ID4A partage le peloton de tête de ce classement prisé avec des compagnies aussi prestigieuses qu’Under Armour, Patagonia, Oracle ou Microsoft.

Pour Rania Hoteit, ces multiples récompenses sont “un rêve éveillé”. « Ce n’est pas seulement ma réussite qu’elle consacre, mais aussi le travail acharné des salariés. »

Une femme qui ne lâche rien

L’histoire de ce petit bout de femme démarre entre audace et rébellion.

Rania Hoteit reste discrète sur son enfance et son adolescence, évoquant simplement le divorce de ses parents. « Avant d’être une femme résiliente, j’ai dû devenir un enfant résilient. Grandir au Liban a contribué à forger mon identité et a influencé ma trajectoire de vie. »

Dans ses réponses, on sent que l’adversité et les difficultés ont formé son ambition.

Car la jeune diplômée de l'Institution et École Saint-Élie a dû franchir bien des obstacles, tant les opportunités sont rares pour un enfant issu de la classe moyenne. « J’ai toujours eu un goût prononcé pour l’innovation et la création. »

Pour réussir, Rania Hoteit mise sur des études aux États-Unis et notamment au Art Center College of Design, à Pasadena, en Californie. « Partir semblait logique, mais mon expatriation répondait à des motivations plus complexes et personnelles. »

Bien vite, cependant, elle déchante. « J’avais une perception idéaliste des États-Unis. Malgré leur politique d’ouverture aux migrants à l’époque, j’ai dû faire face à de nombreux obstacles en tant qu’étudiante, femme et immigrée », raconte-t-elle.

Ainsi, se souvient-elle, lors d’une réunion avec des investisseurs potentiels, l’un d’eux l’interpelle avec lourdeur et machisme. «-Qu’est-ce qu’une femme sexy comme vous fait à San Francisco ? » Rania ne répondra pas. Elle quittera la salle sans présenter son entreprise et le projet pour lequel elle avait décroché ce rendez-vous, préférant abandonner un potentiel financement, plutôt que de se faire marcher sur les pieds.

Une dure à cuire

De toute façon, aussi loin que remontent ses souvenirs, elle n’en a toujours fait qu’à sa tête. « Depuis que je suis enfant, j'ai toujours eu ma propre voix, un sens très fort de mon identité, de mes capacités, de mes idées. Mon chemin, je l’ai tracé moi-même et n'ai suivi personne. »

Malgré les difficultés, pas question d’abandonner. L’échec ne faisant pas partie de ses options. « Je voulais absolument terminer mon cursus universitaire afin de tenir le cap de mes ambitions. Il était hors de question d’abandonner mes études. » Rania entreprend une licence en design environnemental, puis enchaîne sur deux masters, qui lui permettront d’affiner ses connaissances dans le milieu industriel.

Aucun raccourci ne l’a aidée sur le chemin du succès. «-Seulement un travail constant, un acharnement qui m’ont permis d’être là où j’en suis aujourd’hui. »

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Cherche-t-elle une reconnaissance quelconque ? En tous les cas, sa fibre entrepreneuriale n’attendra pas la fin de ses études pour se manifester. En 2007, alors qu’elle est encore en licence, elle lance Anoxic Lab. La start-up n’a rien d’un emploi à temps partiel : Anoxic Lab se dédie à la recherche de design innovant pour les entreprises.

Elle la revendra d’ailleurs en 2009, une fois sur les rails et rentable. Le temps de repasser un autre diplôme et, en 2011, la voilà qui fonde une deuxième structure, dénommée SKU. Il s’agit cette fois d’une plate-forme en ligne, qui relaie les informations liées au monde de l’impression 3D, un secteur en plein boom à l’époque. « SKU gérait en plus l’accès d’entreprises à des imprimantes 3D, afin d’accélérer la fabrication de leurs produits. » L’entreprise sera revendue deux ans plus tard.

Il faut croire que SKU ne la comble pas entièrement, car en parallèle, en 2011, elle crée ID4A Technologies. Désormais présente dans neuf villes des États-Unis, la société, qui a rejoint la Silicon Valley de San Francisco en 2013, compte parmi ses clients des comptes aussi prestigieux que la Nasa, Samsung ou Walmart.

En 2014, alors qu’elle commence à exporter son savoir-faire à l’étranger, Rania Hoteit choisit de revenir vers le Moyen-Orient, à Dubaï plus précisément, où elle travaille sur un projet avec le ministère de la Culture, de la Jeunesse et du Développement local.

Icône de la diversité

Devenue une entrepreneuse comblée, mais jamais entièrement satisfaite, Rania souhaite désormais partager son expérience pour aider la communauté, n’hésitant pas à devenir une icône de la diversité et de l’inclusion aussi bien aux États-Unis qu’au Liban, où depuis quelques années elle fait retour.

« Une étude de McKinsey montre que les sociétés où la diversité est mieux représentée sont 21 % plus performantes que les autres. Celles où la représentation ethnique est plus variée, on monte à 33 % (…). McKinsey assure que 12 billions de dollars pourraient être ajoutés au PIB mondial d’ici à 2025 si on améliorait simplement l’égalité homme-femme. »

Pour défendre ses idées, la jeune femme d’une trentaine d’années s’inspire de son histoire personnelle afin de mieux valoriser le parcours des migrants, que Donald Trump a récemment qualifié d’envahisseurs. « La diversité est un aspect important de l’entrepreneuriat. Elle est source de croissance pour l’entreprise. Elle permet de capter une plus grande part de marché, et crée un environnement plus innovant et créatif. » C’est cette Amérique-là et ce Liban-là que Rania veut porter jusque dans sa réussite professionnelle.


Bio Express

2017 : honorée par le parlement britannique pour sa "contribution et ses réalisations exceptionnelles en tant qu'immigrée aux Etats-Unis"

2016 : prix de l'"Ambassadrice de l'année" par le Blossom Wealth Management pour la promotion de l'innovation et l'entrepreneuriat.

2016 : honorée par la Maison-Blanche pour avoir favorisé le développement de technologies robotiques et de fabrication de pointe aux États-Unis.

2011-2013 : fondatrice et directrice de SKU.

Depuis 2011 : fondatrice et directrice de ID4A Technologies.

2011-2013 : master d’architecture, Southern California Institute of Architecture, Los Angeles.

2009-2011 : master de design de production, Art Center College of Design, Pasadena.

2007-2010 : fondatrice et directrice de Anoxic Lab.

2005-2009 : licence de design environnemental, Art Center College of Design, Pasadena.

Une mentor au Liban

« Mon environnement multiculturel ainsi que le fait de parler trois langues m’a permis d’ouvrir mon esprit, et m’a aidée à faire grandir ma société à l’étranger. » Depuis quelques années, Rania Hoteit veut rendre au pays qui l’a vu naître ce que la vie lui a appris.

Elle collabore ainsi avec des organisations qui ont pour objectifs de responsabiliser les jeunes et soutenir des start-up locales. Car aussi étrange que cela peut sembler au vu de sa réussite à l’étranger, Rania veut d’abord et avant tout « inciter la jeunesse à rester au pays, pour aider à la croissance économique du Liban ».

En juin dernier, elle a ainsi aidé les finalistes du Prix Hult – l’équipe de Heatechs – à se former au monde de l’entreprise.