Face au ralentissement de son activité traditionnelle, le traiteur de luxe se diversifie. La reprise du restaurant de l’hôtel Sofitel Le Gabriel et son entrée sur le créneau de la restauration scolaire signe un changement de paradigme.

Nicolas Audi n’est pas homme à mettre tous ses œufs dans le même panier. Pour ce chef autodidacte, qui a fondé Nicolas Audi Cuisine en 2008 et l’a imposée parmi les cinq plus grands traiteurs du pays, le diagnostic a été simple : l’activité est trop saisonnière pour rester le seul credo de son entreprise. Les mariages et les réceptions mondaines, qui ont fait sa renommée, ont essentiellement lieu entre avril et septembre. Le reste du temps était « une période assez creuse », témoigne son fils Béchara Audi, directeur commercial.

« Jusqu’à récemment, nous en profitions pour préparer de nouveaux menus. Mais avec la crise, il a semblé judicieux de réfléchir à une diversification », ajoute Karim Audi, qui avec son frère et sa sœur Nayla ont pris le relais à la direction, tandis que Nicolas Audi continue de superviser les cuisines.

Changement de mentalité

Certes, avec 2 200 prestations fournies en 2018 (14 % de plus que l’année précédente), un chiffre d’affaires de 7 millions de dollars et une centaine d’employés, le traiteur s’en sort plutôt bien. Mais ses marges sont en baisse. « Le ticket moyen a chuté d’environ 25 % en dix ans dans un contexte, qui plus est, de concurrence accrue », souligne cet ancien de l’école hôtelière de Glion (Suisse).

Aujourd’hui, pour les réceptions, la demande plafonne à 120 dollars par personne tout compris (serveurs, location de mobiliers…). « Et 2019 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Au contraire… »

Si la baisse traduit une érosion du pouvoir d’achat des consommateurs, elle est aussi le signe d’une évolution des mentalités. « Autrefois, la “partie restauration” d’un mariage était primordiale : c’était sur elle que reposait sa réussite. Aujourd’hui, c’est davantage un ensemble : les familles veulent de l’animation pour que les convives en gardent un souvenir impérissable. Inévitablement, elles consacrent des budgets plus restreints à la gastronomie et à l’art de la table », fait valoir Béchara Audi.

Pour faire face à ce changement durable, l’équipe dirigeante veut renforcer l’activité de base, tout en explorant de nouveaux relais de croissance.

Nicolas Audi vient ainsi de se voir confier la gestion de l’ensemble des services de restauration de l’hôtel Sofitel Le Gabriel (groupe Accor). Rénové en 2015, l’établissement de 73 chambres peut accueillir jusqu’à 110 convives (dont 35 en terrasse) dans son restaurant La Verrière. « Les équipes restent en place », précise Nayla Audi, qui s’occupe des créations culinaires et, notamment, de la pâtisserie avec son père. « Elles sont même renforcées. »


Un nouveau paradigme

Pour Nicolas Audi, ce nouveau contrat entérine sa politique de gestion de restaurants en sous-traitance. Le groupe opère aujourd’hui déjà deux restaurants : celui du vignoble d’Ixsir à Batroun (80 couverts à l’intérieur, 200 à l’extérieur) et celui du Yacht Club de Zaituna Bay à Beyrouth (100 couverts à l’intérieur, 80 en terrasse).

« Ce type de partenariat est très commun au sein des groupes hôteliers et certains établissements vont jusqu’à l’externalisation des services de restauration. Sofitel collabore souvent avec des chefs renommés, comme par exemple Christian Constant au Sofitel Paris arc de Triomphe », précise Christine Hakimé, directrice adjointe de l’hôtel Le Gabriel, qui préfère taire le montant du contrat. Tout au plus saura-t-on qu’il s’agit d’un accord qui dépend des recettes engrangées in fine. « Notre objectif est au moins de doubler la fréquentation de nos espaces de restauration, qu’il s’agisse du restaurant ou des réceptions privées », ajoute Christine Hakimé. Audi espère pouvoir développer davantage d’événements ou de réceptions à destination des particuliers au sein de cet hôtel, réputé pour sa clientèle d’affaires.

« Nous pourrions y organiser des événements de taille réduite, autour d’une centaine de personnes, pour un prix finalement assez abordable, entre 70 et 85 dollars », précise Béchara Audi.

Pour le passage de flambeau, qui aura lieu en avril, Le Gabriel et Nicolas Audi planchent sur une “nouvelle formule”. « La carte se veut plus abordable, et plus axée bistrot, avec pour objectif de fidéliser une clientèle régulière. D’où d’ailleurs l’accent porté sur le plat du jour », assure-t-elle encore. Mais attention, pas question de révolutionner la marque de fabrique de ce groupe international : la cuisine française et internationale reste prépondérante. « Nicolas Audi lui adjoint toutefois quelques plats libanais », précise Nayla Audi.

Le partenariat entre les deux établissements ne s’arrête pas là : dans le lobby de l’hôtel Le Gabriel, Nicolas Audi ouvrira un espace pâtisserie. « Il s’agit d’un kiosque de vente à destination des clients de l’hôtel aussi bien que les habitants du quartier qui pourront acheter directement, voire commander et se faire livrer », fait encore valoir Nayla Audi. Un test grandeur nature pour ce traiteur de luxe, qui envisageait depuis plusieurs années l’ouverture d’une boutique à Beyrouth.

En parallèle, l’entreprise s’est positionnée sur un nouveau créneau, potentiellement porteur et encore sous-exploité au Liban, celui de la restauration scolaire.

Un cas d’école à reproduire

Depuis la rentrée, le traiteur opère la cantine des élèves de primaire de Notre-Dame de Jamhour et sert environ 400 repas par jour, à 8 000 livres le plateau. « La restauration scolaire au Liban est une niche qui était jusque-là occupée par des chaînes de snacking ou de restauration rapide. Chez Nicolas Audi, nous proposons des repas complets et frais, plutôt que des simples en-cas », explique Béchara Audi.

Pour assurer un service plus important, le groupe exploite sa cuisine centrale à Rabié ainsi qu’une cuisine satellite à Jamhour où travaillent cinq employés. « Les marges sont plus réduites que sur notre métier historique. Ce qui implique de chercher les volumes », ajoute son frère Karim, qui envisage de créer une marque – ou une structure – autonome pour mieux développer l’activité. Nicolas Audi aimerait d’ailleurs dupliquer ce premier contrat en prenant en charge la restauration d’établissements bancaires ou de centres hospitaliers. « Un changement d’univers, concède Béchara Audi, pas le moins du monde effrayé, mais notre philosophie reste la même : du frais et de la qualité avec le moins de produits transformés possible. » À terme, Nicolas Audi espère que la partie “corporate” représentera environ un quart du chiffre d’affaires du groupe.