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Plages mythiques de Beyrouth : de l’âge d’or au règne du béton

Faut-il être fou pour inaugurer en 1978, en pleine guerre civile, un complexe balnéaire ?

« Raja Saab avait démarré avant le début du conflit en 1974 », se souvient Leila Asbahan, qui travailla au Summerland dès son ouverture et qui est, aujourd’hui, PDG de la Société générale des entreprises touristiques (SGET), l’entreprise saoudo-libanaise propriétaire (le nom des actionnaires n’étant pas public) du Summerland Hotel & Summerland Village.

Le nouveau complexe se construit à la limite de Beyrouth et de Jnah sur un terrain de quelque 21.500 m2, adjacent au littoral. La guerre de 1975 n’empêche pas cette plage de trouver son public.

«On accueillait des personnalités politiques étrangères et libanaises, des chanteurs, des top-modèles, des acteurs…», précise Leila Asbahan.

La région est alors tenue par les forces de la gauche libanaise et les Palestiniens de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Si, malgré tout, le Summerland reste ouvert, son histoire est marquée par la guerre.

Assez vite, les sous-sols de l'hôtel deviennent des dortoirs et des réfectoires pour le personnel de l’hôtel ou les clients. « On sortait au petit matin pour constater les dégâts. On réparait au plus vite, puis les employés reprenaient leur travail «normalement», se rappelle Leila Asbahan.

L’hôtel est détruit en juillet 1982 lors de l’invasion israélienne, puis reconstruit peu après. Deux attentats à la voiture piégée ont également lieu à proximité, en 1983 et 1985, faisant une dizaine de morts et une quarantaine de blessés.

Pourtant, le Summerland symbolisait un “pont” possible entre les belligérants. «Des otages ont souvent été libérés à nos portes», explique Leila Asbahan.

Ce sera notamment le cas, en 1988, des Français Jean-Paul Kaufmann, Marcel Fontaine et Marcel Carton, libérés au Summerland après trois ans de captivité.

Le Summerland servira aussi de résidence alternative à Élias Hraoui lorsqu’il accédera à la présidence de la République, en novembre 1989. Michel Aoun, qui croisait le fer avec l'armée syrienne depuis le siège de la présidence de la République (Baabda), refusait de reconnaître son autorité, obligeant Hraoui à s’installer dans deux autres bâtiments : une caserne militaire de la Békaa et le Summerland de Beyrouth.

Il y restera quelques mois avant que le général Aoun, acculé par les Syriens, ne se réfugie en France.

Plus de dix ans après, en 2002, le Summerland est rasé. Il rouvrira 14 ans plus tard sous le nom du Summerland Kempinski Hotel & Resort. Au moment de l’inauguration, Marcus Van der Wal, directeur général des opérations du groupe hôtelier Kempinski, avait affirmé au Commerce du Levant que les travaux ont coûté plus de 500 millions de dollars à la SGET.

Aujourd’hui, «notre clientèle se compose principalement de Libanais et de Saoudiens». Aux 21.500 m2 initiaux s’ajoutent désormais près de 43.000m2 de front de mer, dont l’exploitation est autorisée par un décret présidentiel “sans limite de temps” et pour un montant resté confidentiel.

En tout, le complexe comprend un hôtel cinq étoiles de 153 chambres, opéré par le Kempinski, 73 appartements privés, disponibles à la vente ou à la location, quelque 583 cabines de plage ainsi que des bungalows de plage, qui se négocient autour de 600 dollars la journée en week-end.

«Cette année a bien démarré avec un taux moyen d’occupation de 60% pour les quatre premiers mois », assure Leila Asbahan.

Le réaménagement de la baie du Summerland a notamment permis la création d’une marina d’une quarantaine de bateaux et d’une plage de sable de 5 000 m2, face à Ramlet el-Baïda. Avis aux amateurs, la plage est ouverte au public, mais il faut compter 100.000 livres libanaises (66,30 dollars) pour une entrée en week-end, incluant 25.000 livres pour la restauration au sein du complexe. 


Cet article a été modifié le 21 juin pour corriger une erreur concernant le nom du propriétaire du Summerland. Il s'agissait de Raja Saab et non de Georges Raja Saab comme précédemment écrit. 

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