Alors que la décharge de Bourj Hammoud arrive à saturation en septembre, le Conseil des ministres n’a toujours pas examiné la feuille de route proposée par le ministre de l’Environnement. Celui-ci préconise de nouvelles taxes, de nouvelles décharges et un tri à la source. Interview.

D.R.

Vous avez transmis au gouvernement une feuille de route sur deux ans accompagnée d’un projet de loi sur le financement de la gestion des déchets. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce projet de loi vise à instaurer des taxes permettant aux municipalités de financer le balayage et la collecte des ordures ménagères. Nous envisageons de l’établir autour de 10 000 livres libanaises par mois et par foyer. C’est un gros effort que nous demandons aux ménages, surtout dans le contexte de crise actuelle mais, en même temps, les Libanais ne sont pas conscients qu'ils paient très cher le traitement de leurs poubelles. Cette taxe veut leur rappeler que comme l’électricité ou l’eau, la gestion des déchets a un coût et que, pour payer moins, il faut recycler.

Vous envisagez également de taxer des produits selon leur niveau de performance écologique, pouvez-vous spécifier ?

Financer la gestion des déchets passe également par une taxation sur les produits les plus polluants. Nous avons établi une liste de 99 produits susceptibles d’être taxés : matériaux de construction, plastiques, pneus... Cette liste est à l’heure actuelle étudiée par le Comité ministériel chargé de la gestion des déchets. Nous souhaitons, en plus, faire appliquer le principe “pollueur-payeur”, lequel consiste à faire payer le prix des dommages environnementaux aux industries polluantes comme les carrières ou les cimenteries…

Où en est l’étude de ce projet ?

Il est examiné au sein de la commission ministérielle ad hoc qui a émis un avis plutôt positif. Certaines mesures ont toutefois été rejetées, notamment en ce qui concerne la dette accumulée par les municipalités auprès du Trésor pour la gestion de leurs déchets. J’avais proposé d’en effacer au moins une partie – de l’ordre de 40 % –, mais le ministre des Finances n’a pas souhaité aller dans ce sens.

Dans le plan de transition, adopté suite à la crise de 2015, le gouvernement s’était engagé à recycler et composter au moins 30 % des déchets, contre 15 % du temps de Sukleen. Mais la situation semble plutôt s’être empirée…

En effet, nous ne recyclons aujourd’hui que 8 % des déchets. Les centres de tri secondaire de Amroussiyé et de la Quarantaine sont en train d’être agrandis pour pouvoir accueillir environ 4 000 tonnes de déchets quotidiens contre 2 500 tonnes actuellement. Ce qui devrait couvrir les volumes de déchets produits dans la région de Beyrouth et du Mont-Liban.

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Au niveau du compost, le plan de transition prévoyait la construction d’un nouveau centre sur le site du Costa Brava, dont la gestion a été confiée à Jihad al-Arab. La construction a pris du retard, mais il devrait être opérationnel en avril 2020. Il pourra alors traiter 750 tonnes de déchets, en plus des 350 tonnes par jour compostés aujourd’hui dans l’usine de Coral (la Quarantaine). Mais faute d’un tri sélectif, la qualité de ce compost n’est pas suffisante pour être employée dans l’agriculture. Il sert uniquement à isoler différentes couches de déchets dans les décharges sanitaires.

Comment améliorer le taux de valorisation des déchets ?

Je souhaite imposer le tri à la source, qui constitue l’une des principales composantes de la loi 80 de 2018. Pour débuter, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), le ministère de l’Environnement et les deux sociétés qui assurent la collecte dans la région, Ramco et CityBlu, ont initié un projet-pilote dans 20 communes du Kesrouan et du Mont-Liban : depuis quelques mois, les habitants de Jal el-Dib, Hazmié, Jdeidé ou encore Furn el-Chebback ou de Baabda… ont ainsi reçu des sacs bleus dans lesquels collecter le carton, le verre ou le plastique pour en faciliter le tri. Le ministère de l’Environnement est responsable du volet “communication”. Mais, avec un budget annuel de huit millions de dollars, nous n’avons pas les moyens d’assurer cette mission et de mener des opérations de porte-à-porte pour convaincre la population de faire l’effort du tri sélectif à la maison. Du coup, comme dans le cas de l’opération “Plages propres”, qui a rassemblé près de 8 000 bénévoles au début de cet été, nous nous appuyons sur une “green army” de bénévoles pour prendre le relais.

En attendant, Bourj Hammoud est au bord de la saturation, quelles sont vos solutions pour prévenir une nouvelle crise ?

La décharge sanitaire du Costa Brava peut encore tenir un an et demi. En revanche, celle de Bourj Hammoud, qui accueille 1 800 tonnes environ de déchets par jour, ne pourra plus en accepter début septembre. Pour des questions politiques et confessionnelles, nous ne pouvons pas basculer ces volumes vers Costa Brava et il nous faut trouver un nouveau site d’enfouissement, au risque de voir réapparaître les déchets dans les rues d’une large partie de la capitale et de la banlieue. Face à l’urgence, rouvrir Naamé est une possibilité envisagée. Une autre hypothèse est l’extension de Bourj Hammoud-Jdeidé. Cela signifie toutefois que le port de pêcheur, qui sépare les deux sites de la décharge, devra être supprimé. À mon sens, c’est une option crédible, d’autant que la mer est à ce niveau-là extrêmement polluée. La décision finale doit être prise en juillet.

À terme, vous pensez que l'incinération est toujours la seule solution ?

Le Waste to Energy est la solution la plus rapide et la plus efficace, puisque personne ne veut de décharges dans sa région. Deux emplacements ont été retenus : le premier sur la côte sud de Beyrouth – à Jiyé ou à Zahrani – le second au nord de Beyrouth à Deir Ammar. À cela s’ajoute l’incinérateur de la ville de Beyrouth, qui prône une solution indépendante et pour lequel on ignore encore l’emplacement choisi. À terme, l’objectif est de parvenir à n’enfouir que 20 % des déchets.