Un article du Dossier

Quadras et déjà patrons

Une carrière fulgurante dans un ex-monopole d’État n’est certainement pas la norme en France, où les anciennes entreprises publiques ont toujours traîné une réputation de grande lenteur. Pourtant, à seulement 45 ans, Nadine Jaudet (de son nom libanais Abou Jaoudé) dirige depuis deux ans la filiale des services partagés du groupe ENGIE (ex-GDF-Suez), qui affiche un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros (plus de 900 millions de dollars). Un périmètre financier limité au regard des 60,6 milliards d’euros (68,3 milliards de dollars) de chiffre d’affaires d’ENGIE en 2018. Mais, en regroupant toutes les opérations courantes (finance, ressources humaines, achats, informatique, juridique…), ce pôle joue un rôle-clé dans la performance globale du groupe.

Nadine Jaudet ne s’en cache pas, la direction des services partagés n’a pas très bonne image dans l’entreprise. L’activité doit optimiser les dépenses plutôt qu’investir, gérer les fonctions supports plutôt que les clients, et pousser – non sans peine – les filiales à collaborer. Mais si Nadine Jaudet a accepté le poste, c’est précisément pour changer la donne : « Il fallait redonner à la structure l’image qu’elle mérite, la fierté d’appartenance pour les salariés. En même temps, il fallait développer au sein des fonctions supports une véritable approche client, miser sur la qualité du service, et pas seulement sur le coût. En somme, transformer le métier. Un défi. »

Ce “défi”, Nadine Jaudet l’a d’abord appliqué à sa propre carrière avant de l’exiger des quelque 2 000 salariés qu’elle dirige. Quand elle quitte le Liban pour la France à 11 ans, elle rêve d’être architecte « pour reconstruire son pays » alors en guerre. Pourtant, au moment de définir son orientation, elle se tourne plutôt vers l’économie : diplômée de l’Institut d’administration des entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle est embauchée dans un cabinet d’expert-comptable, dont elle démissionne pour rejoindre, à 28 ans, le département finance de Gaz de France (GDF). Mais les chiffres, ce qu’elle pensait être une passion, l’emprisonnent : dossiers techniques, lourdeur d’une entreprise publique… « Les trois premiers mois furent difficiles. » Elle s’acharne. Peut-être parce qu’elle se sent malgré tout participer à la mutation d’un groupe : GDF est privatisé en 2004, fusionne avec Suez en 2008 et se métamorphose en ENGIE en 2015. « J’étais ravie de voir l’entreprise se transformer à ce point et d’accompagner cette mue », reconnaît-elle.

C’est dans ce contexte qu’elle “ose” changer de métier. En 2014, à 41 ans, elle devient directrice déléguée d’une filiale, Savelys, une entité de 3 800 salariés, spécialisée dans les solutions de chauffage et de climatisation. « Un vrai tournant, reconnaît-elle. J’y ai développé mes compétences dans la relation client, le marketing et le management de terrain. » Ce double profil l’a fait décoller : il ne lui faut pas quatre ans pour être à la tête de la Direction des services partagés du Global Business Support, à 43 ans. « Je pense que mon parcours financier a rassuré et mon expérience client a sûrement fait la différence. » En comparaison, son prédécesseur, de quinze ans son aîné, avait fait l’essentiel de sa carrière à la direction des ressources humaines au siège central. Nadine Jaudet en est persuadée : sa nomination n’aurait pu avoir lieu auparavant. « C’est parce que l’entreprise s’est transformée et que le management a changé. » Un vent nouveau semble en effet souffler sur l’entreprise, dont la directrice générale Isabelle Kocher a été nommée, en 2016, à 50 ans à peine. « Y travailler s’avère très stimulant. » Depuis deux ans, Nadine Jaudet a donc lancé ce qu’elle appelle une “transformation humaine” : « Dans les services partagés, notre enjeu c’est la robotisation, qui touche toutes les activités standardisées. Un comptable aujourd’hui pourra devenir demain un coach de robot ou un analyste commercial. » Elle, en tous les cas, se sera renouvelée.

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