Un article du Dossier

Quadras et déjà patrons

Avec un nom comme le sien, elle aurait pu ne jamais travailler, se contenter de voir grandir ses deux enfants. Mais Joanne Chéhab, née Sarraf, petite-fille du fondateur de Malia Group, Jean Sarraf, a choisi de rejoindre l’entreprise familiale à 21 ans. Depuis 2017, elle la dirige.

« Je figure parmi les rares femmes à être parvenues à cette fonction à cet âge parmi les grandes entreprises privées du Liban », se félicite-t-elle.

Le groupe Malia n’a en effet rien d’une PME : il compte 1 800 salariés, 20 filiales, représente une soixantaine de marques et opère dans sept pays du Proche et du Moyen-Orient. « Qu’il s’agisse du chiffre d’affaires ou des bénéfices, notre objectif de croissance se veut à deux chiffres. »

La nomination de Joanne Chéhab s’est imposée au sein du groupe sans grandes discussions. « La transition s’est fait sans heurts, confirme-t-elle. En me choisissant, le conseil d’administration a plébiscité une approche transversale de l’entreprise. »

Cela fait en effet 20 ans que Joanne Chéhab arpente les méandres du groupe. À 18 ans, ses parents lui imposent un stage d’été : « Il s’agissait de travailler à l’usine : j’ai rempli des bouteilles de shampoing pendant trois mois. Un premier emploi plutôt fastidieux sur le moment, mais qui s’est révélé très formateur. Je n’ai compris la valeur des “stages ouvrier et vente” que bien plus tard », explique-t-elle. Plus tard, quand elle rejoint définitivement Malia, après son MBA à l’Essec et un stage de neuf mois chez Wella, une entreprise allemande, elle construit sa carrière en se familiarisant avec tous les métiers du groupe : elle occupe des postes variés et s’initie tour à tour au marketing, la finance, la vente, le management de terrain et les ressources humaines, un métier qu’elle pratiquera pendant cinq ans.

De toutes ces expériences accumulées pendant vingt ans, la jeune patronne retient en particulier un “gros échec”, qui l’a fait grandir plus vite : l’ouverture de la filiale du groupe en Syrie.  En 2009, Joanne Chéhab est à Damas pour en chapeauter l’ouverture. Quatre ans plus tard, les bureaux et les entrepôts sont rasés, les stocks et les créances envolés, tout comme les salariés. Malia accuse une perte de plus de trois millions de dollars. « Cela a été une grosse claque. Mais cet échec m’a servi : j’ai compris l’importance d’assurer une meilleure gestion des risques, de mieux protéger les actifs du groupe dans des zones difficiles et de rebondir au plus vite. »

Depuis qu’elle est à la tête de l’entreprise, elle fait souffler un vent nouveau pour imprimer sa marque. D’abord, parmi les sept membres du conseil d’administration, quatre sont désormais indépendants, sans lien avec les fondateurs. « Nous avions besoin de nous dégager des liens affectifs propres à toutes les entreprises familiales pour prendre des décisions difficiles. Une façon de mieux préparer l’avenir. » Revers de la médaille : elle doit rendre des comptes et sa position n’est plus assurée “per se”. « Chose promise chose due. Je ne jette pas l’éponge facilement, mais s’il le faut je saurai lâcher prise », affirme la dirigeante.

Pour se donner les moyens de la réussite, Joanne Chéhab mise particulièrement sur les équipes et s’appuie sur son expérience à la direction des ressources humaines. Elle a ainsi mis en place un système de management de la performance pour évaluer le potentiel des salariés. Elle veille aussi à renforcer leur diversité. Si le groupe affiche, par exemple, un taux de féminisation de 48,8 %, le comité de direction, lui, reste encore très masculin : Joanne Chéhab en est la seule femme. « Mais ça change », affirme-t-elle. Peut-être y verra-t-on siéger un jour une talentueuse « Malian », non issue du cercle familial…


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