Sarah Bizri a imaginé  une gamme  de meubles  que Jihad Toros  et Jamal Korek  ont mis en œuvre.
Sarah Bizri a imaginé une gamme de meubles que Jihad Toros et Jamal Korek ont mis en œuvre. Élie Bakhazi

Jihad Toros peut souffler. Ce menuisier de Tripoli a remporté un contrat, avec l’un de ses collègues, pour la création du nouveau mobilier du restaurant Dardachat, de Aïn el-Mreissé. Le chantier va leur rapporter 50 000 dollars, et faire travailler leur équipe deux mois à plein-temps. 

Cette opportunité, ils la doivent à Minjara (“menuiserie” en arabe), un projet financé par l’Union européenn à hauteur de cinq millions de dollars sur trois ans, et mis en œuvre par l’agence française de coopération technique Expertise France. Lancé fin 2016, il vise à dynamiser le secteur du mobilier en bois dans la ville de Tripoli et de sa banlieue. La mission d’Expertise France arrive toutefois à son terme fin décembre. La gestion de la plate-forme sera ensuite confiée à l’Association des industriels libanais (AIL) en partenariat avec la Chambre de commerce de Tripoli.

Un noyau dur de 50 artisans

À ce stade, Minjara a aidé quelque 200 artisans, en leur octroyant notamment des formations. Mais seul un noyau dur d’une cinquantaine d’artisans se sont vraiment fédérés autour de la plate-forme. « Ce sont des artisans qui sentent le besoin d’évoluer dans leur pratique», justifie Julien Schmitt d’Expertise France. Minjara leur offre un espace au sein de la foire de Tripoli pour faire des recherches, travailler sur des prototypes ou rencontrer des designers et des décorateurs. «  Cet espace est à la fois un centre de ressource pour les artisans, un point de rencontre avec la clientèle et une vitrine des savoir-faire », explique encore Danny Abboud, de l’AIL qui collabore ici avec l’équipe d’Expertise France. 

C’est d’ailleurs avec ce premier cercle d’artisans que Minjara a organisé “Dar 2019”, un salon ouvert au grand public au sein de la foire de Tripoli en juillet dernier. L’occasion d’y présenter la première collection de mobilier, une vingtaine de pièces au total, réalisés par les artisans de Tripoli en collaboration avec des designers. 

Mais Minjara n’est pas la première tentative de la communauté internationale pour soutenir la filière du bois à Tripoli. En 2014 déjà, l’Agence des Nations unies pour la coopération industrielle (Unido) avait essayé d’y faire émerger un “cluster”, soit un “pôle de compétitivité”. Le résultat s’était révélé mitigé : si les artisans engagés avaient bénéficié de formations, voire de nouveaux équipements, aucun des clusters n’a survécu à la fin du programme. « Il faut énormément de temps et d’implication pour persuader ces TPE ou ces PME familiales qu’“ensemble on est plus fort” », ajoute Danny Abboud. 

Il y va pourtant de leur survie. À Tripoli, la filière est très mal en point. Autrefois reconnu pour son artisanat traditionnel, le secteur de la menuiserie, qui compte environ 400 ateliers – soit un bassin d’emploi de 1 000 salariés environ –, ne fait plus figure de référence. « Nous avons mené une enquête auprès du grand public révélant que seuls 15 % des consommateurs interrogés envisageaient d’acheter la production traditionnelle des artisans de Tripoli ; le contemporain et le moderne représentent bien plus, respectivement 25 % et 36 % », rappelle l’expert. 

Malgré tout, la fabrication artisanale semble avoir encore un potentiel économique, notamment à l’exportation. C’est pourquoi Minjara a décidé de s’adresser au grand public, en organisant une exposition à Paris regroupant dix artisans. « C’est un bon début, commente Jihad Toros. Il faut que cela continue, on a besoin de davantage d’opportunités. » Un succès d’estime qu’ils ont réitéré fin octobre à Beyrouth, lors d’une nouvelle présentation pensée pour séduire aussi les Libanais.