Doctorante à l’École d’économie de Paris et chercheuse affiliée au Laboratoire des inégalités mondiales et à Carnegie Middle East Center, Lydia Assouad est l’auteure de la seule étude sur les inégalités au Liban depuis 1960. Ses conclusions, publiées en 2017, raisonnent comme un écho aux discours des manifestants. 

Lydia Assouad est doctorante à l’École d’économie de Paris et chercheuse affiliée au Laboratoire des inégalités mondiales et à Carnegie Middle East Center.
Lydia Assouad est doctorante à l’École d’économie de Paris et chercheuse affiliée au Laboratoire des inégalités mondiales et à Carnegie Middle East Center.

Quel est l’état des inégalités aujourd’hui au Liban ?

Les inégalités sont extrêmes. Cette situation n’est pas nouvelle, mais l’annonce de mesures d’austérité les a replacées au cœur du débat.

Très peu de données sont accessibles quant à la répartition des richesses dans le pays. Si l’on se base sur les classements des magazines Forbes et Arabian Business, la fortune des milliardaires libanais représente à elle seule près d’un quart du revenu national. Ce ratio est supérieur à celui des pays comme la Chine, la France, les États-Unis ou encore l’Arabie saoudite.

Les inégalités de revenus sont également considérables : 0,1 % des Libanais les plus aisés – environ 3 000 individus – gagnent autant que les 50 % les plus pauvres des Libanais, qui ne captent que 10 % du revenu national. Ces ultrariches ont par ailleurs un revenu moyen supérieur à ceux de leurs homologues d’Europe de l’Ouest.

Quelles sont les causes de ces écarts considérables de richesse et de revenus ?

L’économie de rente libanaise tire la plupart de ses revenus des services bancaires et du secteur immobilier. Or le système politique libanais, miné par la corruption et les pratiques clientélistes, a permis à l’élite politique au pouvoir de s’accaparer une large part de ces rentes.

Le système fiscal a ensuite contribué à aggraver ces inégalités. En principe, le système d’imposition libanais est progressif : l’impôt sur le revenu personnel augmente proportionnellement au revenu. Mais beaucoup d’exceptions le rendent inopérant. Ce système est cédulaire, autrement dit chaque source de revenus est imposable séparément, au lieu d’un impôt général sur l’ensemble des revenus, ce qui limite, en pratique, la progressivité. Par ailleurs, le taux d’imposition marginal sur les tranches de revenus les plus élevées plafonne à 20 % au Liban, quand il grimpe à 37 % aux États-Unis et 45 % en France.

La capacité de redistribution du système est, enfin, limitée du fait notamment de la faiblesse des revenus de l’État. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ceux-ci représentent en moyenne 35 % du produit intérieur brut, contre seulement 16 % au Liban.

Quelles sont les options pour réduire ces inégalités ?

L’imposition de nouvelles taxes est l’étincelle qui a déclenché le mouvement de contestation. Le gouvernement au pouvoir dans les prochains mois devra donc absolument s’atteler à la réforme de son système fiscal. Il faut rétablir la progressivité des impôts en renonçant au modèle cédulaire. Le taux d’imposition marginal sur les tranches de revenus les plus élevées doit être augmenté. S’agissant du patrimoine, une taxe exceptionnelle sur les capitaux privés, et en particulier les biens immobiliers, pourrait être introduite.

Dans des pays riches comme les États-Unis, la France ou la Chine, les capitaux privés représentent en moyenne 600 % du revenu national total. Au Liban, du fait de la très forte concentration des richesses, ce pourcentage est probablement égal, voire supérieur. Un impôt forfaitaire de 15 % sur les capitaux privés générerait ainsi l’équivalent de presque une année entière de recettes publiques. Je suis assez optimiste quant à la capacité de l’État à réduire ces inégalités si des réformes sont mises en œuvre. La marge de manœuvre est considérable tant peu a été fait jusqu’à présent.