« Ne pas officialiser un contrôle des capitaux est criminel », affirment des banquiers qui craignent la réouverture des réseaux ce vendredi après près de deux semaines de fermeture totale. 


« S’ils ne mettent pas en place avant la réouverture des banques un contrôle des capitaux, c’est qu’ils sont ou inconscients, ou fous ou criminels », explique un directeur d’agence paniqué à l’idée des retraits massifs auxquels son établissement pourrait faire face lorsqu’il lèvera le rideau.

L’Association des banques a en effet annoncé que l’ensemble des réseaux bancaires ouvriront au public ce vendredi après presque deux semaines de fermeture totale.  Si on excepte des horaires aménagés pour accueillir davantage de public, rien ne change a priori : le gouverneur de la banque centrale a assuré qu’il n’y aurait ni contrôle de capitaux ni restructuration de la dette. Il a également affirmé que la parité de la livre libanaise au dollar resterait inchangée à son niveau actuel. 

La déclaration de Riad Salamé est bien sûr censée rassurer les marchés et les déposants alors que les incertitudes politiques et économiques vont croissantes avec la démission du Premier ministre le 29 octobre.

«Compte tenu des perspectives politiques incertaines du pays, les risques de fuites de capitaux sont très très très élevés», prévient un économiste libanais salarié d’une grande banque européenne. La mise en place d’un contrôle temporaire des capitaux est logique, plus encore elle est normale, si on veut éviter des retraits massifs. Ce qui se produira forcément », ajoute-t-il.

Même le bloc parlementaire du Hezbollah a appelé la Banque du Liban (BDL) à prendre « toutes les mesures nécessaires pour éviter un dérapage monétaire. »

Pour l’heure toutefois, Riad Salamé campe sur ses positions, affirmant même que l’instauration du contrôle de capitaux n’était pas du ressort de la Banque centrale mais du Parlement. Une interprétation que certains contestent en s’appuyant sur l’article 174 du code de la monnaie qui permet a la banque centrale de « prendre les mesures [appropriée] pour permettre une activité bancaire saine ».

Selon un ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban, ce serait parfaitement légitime, étant donné l’importance des enjeux.

Selon les estimations qui circulent  dans les milieux diplomatiques quelque 300 millions dollars par jour sur une période de dix jours pourrait être transférés à l’étranger à la réouverture des agences bancaires. Al-Akhbar estime dans son édition du 31 octobre que les sorties de capitaux pourraient atteindre cinq milliards de dollars en un mois.

Une fuite massive de capitaux ferait fondre les réserves en devises de la BDL, et menacer sa capacité à défendre la livre. Officiellement, ses réserves brutes s’élevaient à 30,6 milliards de dollars fin août, mais ce chiffre inclut les dépôts des banques auprès de la BDL ainsi que les eurobonds. Selon des rapports récents des agences de notation Fitch et S&P, la BDL ne peut mobiliser à court terme que 6 à 10 milliards de dollars.

La banque centrale a toutefois assuré qu’elle fournira les liquidités nécessaires aux banques, mais à un taux de 20%, les poussant ainsi à imposer elles-mêmes des restrictions à leurs clients. Celles-ci pourraient essayer de retarder ou empêcher certains transferts, selon les clients, ou répercuter sur eux le coût des liquidités fournies par la BDL.

Cela s’apparenterait à un « haircut », mais de manière totalement discrétionnaire. « Cela fait déjà quelque temps que les banques limitent les conversions et les transferts. Elles continueront sans doute pour un temps  suivant les circonstances politiques et financières que traverse le pays. Le problème de ces restrictions, instables et sujettes aux rumeurs, est qu'elles produisent du stress sur les marchés au lieu de le réduire », déplore un banquier.


«Les autorités publiques doivent agir afin de ne pas laisser les banques décider arbitrairement des régulations à appliquer, ajoute un autre financier. Sinon, les gros déposants useront probablement de leur influence pour retirer leur argent tandis que les autres n’auront pas le choix, ce qui va aggraver la tension dans le pays et les risques de violences». D’autant que si l’hémorragie persiste, elle provoquera une crise de change et probablement un défaut de paiement de l’Etat, dont près de la moitié de la dette est libellée en dollars.

Pour lui, seule une communication transparente pourrait amener les marchés à ne pas paniquer et la population à ne pas sombrer dans la violence.  «Dans cette période de crise, il nous faut un véritable régulateur, pas un deal maker. Un homme responsable qui hiérarchise l’ordre des priorités. Et cela signifie un contrôle des capitaux momentanée», fait valoir un banquier.Sinon, le risque de voir se généraliser les mesures déjà prises par d'importantes banques d'arrêter les lignes de crédits de leurs clients commerciaux, pourraient se généraliser, et porter un coup très grave à l'économie réelle.