Entretien avec Karim Gebara, directeur général de Omnipharma et président du Syndicat des importateurs de produits pharmaceutiques.


Les hôpitaux appellent à une grève générale  aujourd'hui et affirment qu’ils pourraient ne plus avoir les moyens de soigner leurs patients rapidement, faute notamment de stocks suffisants de médicaments. Que se passe-t-il exactement ?
L’ensemble des acteurs du secteur pharmaceutique subissent aujourd’hui un cumul de difficultés financières, toutes en relation avec la crise que traverse le pays. Le premier et principal problème est lié à l’énorme retard de paiement du secteur public - les ministères et/ou le tiers-payant - vis-à-vis des hôpitaux et des importateurs pharmaceutiques. On parle d'une dette cumulée de 1,4 milliard de dollars pour les hôpitaux et de 200 millions de dollars pour les importateurs pharmaceutiques. Les hôpitaux n’étant pas payés, ils retardent à leur tour le paiement des factures dues à leurs fournisseurs, en premier lieu aux importateurs de produits pharmaceutiques ou de matériel médical. Cela signifie que certains de ces importateurs pourraient être dans l’impossibilité d’honorer les factures de leurs fournisseurs étrangers faute de trésorerie suffisante et cela entraînerait inévitablement des difficultés pour le renouvèlement des stocks.

Dans un tel contexte, comment vivez-vous les restrictions imposées par les banques sur les facilités de crédits ou l’arrêt des transferts vers l’étranger ?
Ces mesures mettent en jeu la viabilité de l’ensemble des acteurs du secteur. Beaucoup des importateurs, que nous représentons, ont besoin de ces lignes de crédit pour compenser les retards de paiements de leurs clients. En les coupant net, sans concertation aucune, les banques ont mis en danger la survie des entreprises. La fermeture des établissements bancaires est un problème supplémentaire, qui nous fragilise, tout comme l’ensemble des entreprises libanaises. Nous sommes, par exemple, dans l’incapacité de déposer les chèques pour alimenter nos comptes. Qu’est-ce qu’une économie qui survit uniquement sur le liquide ?

Vous bénéficiez pourtant de la circulaire 530 de la banque centrale qui vous garantit une partie de vos besoins en devises au taux officiel…
Nous avons besoin d'un milliard de dollars pour couvrir les importations de médicaments par an. La circulaire 530 garantit aujourd’hui 85 % de ces besoins  au taux officiel, et nous devons encore nous procurer 15 % auprès des changeurs.  Mais la hausse du taux sur ce marché parallèle a des graves répercussions sur nos marges qui, rappelons-le, sont fixées par l’Etat au même titre que le prix des médicaments. Un taux sur le marché parallèle fixé à 1900 livres libanaises pour un dollar, comme c’est le cas actuellement, induit une baisse de nos revenus de l’ordre de 30 à 40 %. Ce n’est pas tenable très longtemps.

Est-ce que cela signifie que des médicaments pourraient voir leur prix augmenter ?
Non, tous les médicaments enregistrés auprès du ministère de la Santé bénéficient de la circulaire 530 de la Banque du Liban. De toutes les façons, les prix sont fixés par le ministère, ils ne peuvent pas être modifiés sans son consentement. En revanche le matériel médical, qui dépend d’un autre syndicat, ne bénéficie pas de la circulaire 530, et les prix sont théoriquement libres. Ces importateurs pourraient donc compenser en augmentant leurs prix. Le problème est que, d’une part, les hôpitaux ne sont pas prêts à supporter une hausse et, d’autre part, les produits médicaux sont soumis à une tarification précise dans le cadre de leur remboursement par les tiers-payant. In fine, eux aussi se retrouvent dans l’incapacité d’augmenter leur prix. Il est donc impératif de les inclure dans la circulaire 530.

Quelle serait une réponse possible à la crise de liquidités que vous subissez ?
Il faut en urgence que les banques permettent aux entreprises du secteur d’avoir accès aux crédits pour regagner un peu de flexibilité et gérer en partie les retards de paiement des organismes publics. Il faut également s’assurer que les banques commerciales appliquent la circulaire 530, en particulier sur les autorisations de transfert de devises à l’étranger. Elles ne semblent pas la respecter  aujourd’hui de manière systématique. Une majorité de nos adhérents font en effet toujours état de blocage, de retard ou de complications dans la mise en œuvre des transferts, malgré la circulaire 530. Or, si nous ne payons pas nos fournisseurs étrangers à temps, nous n’aurons très vite plus accès à leurs marques ou à leurs produits.

Quelles seraient autrement les risques ?
Je ne veux surtout pas paniquer la population. A ce jour, nos stocks sont suffisants pour faire face aux besoins sur les deux à trois prochains mois. Mais si rien n’est fait, il est probable que des restrictions de vente soient mises en œuvre, en fonction de qui peut payer cash et qui ne peut pas. Les hôpitaux, dont les délais de paiement sont très longs, pourraient alors se trouver parmi les premiers à subir des limitations. Il est également probable qu’il y ait des retards dans les importations ou des réductions de quantités importées, dépendamment de la trésorerie de chaque importateur.