À 45 ans, Géraldine Maouchi pilote la transformation numérique du géant français de la santé, Alpha HealthGroup. Son poste ? Chief Digital Officer (CDO), un métier dont elle rêvait il y a vingt ans.
Quand on lui demande de se décrire, c’est des hashtags que Géraldine Maouchi choisit d’utiliser. « Trois me décrivent bien : #Make it Happen, parce que j'ai rapidement réalisé que c'est à chacun de faire les efforts et se donner les moyens de ses ambitions ; #Agility is an Attitude, car j’ai appris par moi-même et me suis autotransformée tout au long de ma carrière ; et #Botox your Brain, parce que le choix de travailler dans les technologies numériques en constante évolution nécessite de garder une certaine fraîcheur d’esprit. »
Elle est comme ça, Géraldine Maouchi : absolument numérique, “hashtaguant“ à tout-va. Bien sûr, il y a de l’humour derrière l’usage de la novlangue, mais c’est aussi une image de marque qu’elle a intérêt à cultiver. Dans le conseil en numérique depuis une vingtaine d’années, cette Franco-Libanaise de 45 ans, installée à Paris, exerce depuis cinq ans la fonction de Chief Digital Officer (CDO) pour de grandes sociétés du secteur de la distribution, du luxe ou de la santé. Dans son poste actuel, elle répond directement au président d’Alpha HealthGroup, un grand groupe français – 840 employés et plus de 450 millions d’euros de chiffres d’affaires – qui fabrique des produits d’automédication dont leur marque-phare Œnobiol.
Chief Digital Officer… Ne cherchez pas d’équivalent français à l’intitulé de ce poste. Il n’y en a pas. À défaut, on vous dira que l’homme – ou la femme – providentiel(le) est responsable de la transformation numérique de l'entreprise. Un enjeu capital, car c’est l’un des principaux relais de croissance des firmes désormais.
« Je suis un peu “chef d’orchestre” », s’amuse-t-elle. Ce maestro d’un nouveau genre est là pour identifier les innovations “disruptives” qui guettent l'entreprise et doit tout faire pour l'y adapter. « J’alterne les casquettes : je peux mettre en place des stratégies business pour un groupe, démarrer une démarche d’e-commerce, récupérer des données pour mieux comprendre les habitudes de consommation des acheteurs d’une marque ou imaginer des opérations plus ponctuelles, telles que le lancement d’un pop-up store. »
Dans cet écosystème relativement nouveau, cette touche-à-tout à tendance “workaholic” se distingue par son parcours atypique. N’a-t-elle pas produit cinq singles musicaux dont la promotion exclusivement en ligne lui a servi de défouloir artistique autant que de terrain de formation ? « Le retour sur investissement était trop faible pour que je m’y engage à plein-temps », concède-t-elle.
Perdre et se relancer
Celle qui se dit « bien née » – elle a étudié au prestigieux lycée Notre-Dame des Oiseaux en France – reste néanmoins quasi mutique sur son adolescence. Une discrétion sans doute liée à un revers de fortune de sa famille, installée à Paris après avoir fui comme tant d’autres la guerre de 1975. « À 16 ans, j’ai dû commencer à me responsabiliser, finit-elle par confier. J’ai redoublé ma classe de première et j’ai fait de petits boulots pendant mes études universitaires… » L’un d’entre eux la marque, un job d’été dans une boutique éphémère Nike pendant la Coupe du monde de 1998, où elle commence comme caissière et se voit promue une semaine plus tard responsable de magasin. « Pour la première fois, on me faisait confiance en me livrant les rênes d’un projet », se souvient-elle.
Malgré cette mauvaise passe, elle finalise ses études de gestion à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, puis décroche ses premiers postes de consultante, d’abord brièvement chez Arcome, une société française de conseil en nouvelles technologies et en télécoms, ensuite chez Accenture en 2001, à chaque fois grâce à un proche. Une nouvelle preuve de confiance, dont elle se rappelle avec gratitude. « Je n’avais pas d’expérience formelle dans le conseil, mais ils ont cru en moi. Avec Accenture, j’ai travaillé pour Orange-Télécom ou encore Hewlett-Packard, ce qui était parfait : à cette époque, je souhaitais comprendre “l’arrière-cour” du numérique. »
Car Géraldine Maouchi a un “plan”, dont on trace les contours lorsqu’elle déroule son CV comme une suite logique d’intuitions et de décisions calculées. Avec un objectif en tête : pénétrer le petit groupe de ceux qui pensent la transformation numérique. Cette obsession, Géraldine Maouchi l’associe à l’exil en France de sa famille alors qu’elle n’a que deux ans. « Pendant la guerre du Liban, nous n’avions quasiment aucun moyen de communiquer avec ma famille restée au pays. C’était terriblement angoissant. » Lorsqu’elle découvre internet, elle en voit immédiatement le potentiel. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de travailler coûte que coûte dans ce domaine. »
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Mais comment faire quand on n’a pas le profil requis ? « J’ai opté pour un parcours hybride, avec des formations en ligne et des expériences pratiques à la fois dans des entreprises de l’écosystème numérique et dans des activités plus traditionnelles. En parallèle, j’ai acquis des compétences transversales dans plus de secteurs possibles, qu’il s’agisse des télécommunications, de la vente, de la musique, de l’hôtellerie, du luxe ou de la santé. J’ai pu aussi explorer les marchés internationaux, en devenant consultante indépendante au Brésil ou aux États-Unis. »
Consultante indépendante
En 2006, Géraldine Maouchi choisit en effet d’accélérer sa mutation en se mettant à son compte. Sans un grand cabinet de conseil derrière soi, justifier son parcours en patchwork et vendre sa vision à des entreprises n’a rien d’évident. « Il est difficile de conserver l’assurance professionnelle qui va, en général, avec un poste dans un grand groupe. » Plusieurs la suivent malgré tout : Accor Hotel, Ventes-privées (aujourd’hui Veepee) ou encore SFR la choisissent pour développer leurs stratégies sur le web et les réseaux.
En mission pour le conglomérat de consultants indépendants Top Consult, elle est alors repérée par Chalhoub Group, l’un des principaux distributeurs et revendeurs de produits de luxe dans le Golfe, qui l’embauche pour mettre au point sa stratégie numérique et d’e-commerce. Elle y restera trois ans. « Nous soutenions la digitalisation au Moyen-Orient de marques, comme Swarovski, Sephora, ou encore Lacoste. Pour de tels clients, une grande partie du travail porte sur la vente en ligne et le service client de luxe. On devait également décliner l’expérience de marque sur le web. »
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De cette période, Géraldine Maouchi est particulièrement heureuse d’avoir collaboré à LevelShoes, un concept-store à Dubaï dédié à la chaussure. « C’était le premier site de luxe “Made in Moyen-Orient”, et non pas simplement déployé dans la région », comme c’était déjà le cas de NetAPorter par exemple. « Mais Paris me manquait », confesse Géraldine Maouchi.
Désormais de retour dans la capitale française, elle ne peut s’empêcher de sourire : « Aujourd’hui, j’exerce un métier que j’ai créé et dont j’avais rêvé il y a vingt ans. Je suis exactement là où j’ai toujours voulu être. » Et après ? Pas sûre qu’elle s’arrête en si bon chemin : le poste de CDO est aussi un vrai levier de carrière. Aux États-Unis, beaucoup de ces anciens du numérique deviennent ensuite directeur général de grands groupes.
Bio express 1997-2000 : études de gestion à la Sorbonne Paris 1. 2001-2006 : consultante pour les sociétés de conseil Arcome et Accenture. 2006-2014 : consultante indépendante en développement d’entreprise et en stratégie numérique. 2014-2017 : responsable de la transformation digitale du groupe Chalhoub. Depuis 2017 : Chief Digital Officer (CDO) pour différentes entreprises, dont Alpha HealthGroup depuis mars 2019. |