L’ancien patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi ne court a priori aucun risque judiciaire au Liban. Même un mandat d'arrêt international par le Japon via Interpol aurait peu de chance d’aboutir

Carlos Ghosn au moment de sa sortie de prison, en avril 2019
Carlos Ghosn au moment de sa sortie de prison, en avril 2019 AFP / Behrouz MEHRI / ALTERNATIVE CROP

L’extradition de Carlos Ghosn du Liban est-elle possible?

Rizk Zogheib, avocat, chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth est catégorique : «Le Liban n’extrade pas ses nationaux.» Malgré tout, le Liban a accepté en 2019 l'extradition d'un bi-national, Ali Salamé, qui détenait la nationalité libanaise et américaine révèle Arab News.  Ali Salamé était accusé par la justice américaine d'avoir kidnappé son fils de 4 ans et d'avoir fui avec lui au Liban pour éviter d'en laisser la garde à son ex-femme.  Le cas se justifiait, selon le ministre de la Justice démissionnaire,Albert Serhan, par le fait que  : «Cet homme détenait la double nationalité, libanaise et américaine, tandis que Carlos Ghosn n'est pas Japonais».Un fait que renforce l’absence de traité d’extradition entre le Liban et le Japon ni même d’un accord judiciaire bilatéral. «Tant qu’il reste au Liban, Carlos Ghosn ne court donc a priori aucun risque», fait valoir Pierre d’Azémar de Fabrègues, avocat du barreau de Paris, spécialiste en droit des affaires et fiscalité.

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Peut-il voyager en dehors du Liban?

«Carlos Ghosn peut se rendre dans tous les pays qui n’ont pas d’accord judiciaire avec le Japon», affirme l’avocat français. A minima, il peut voyager sans craintes dans les pays dont il est ressortissant : le Brésil et la France, dont la secrétaire d’Etat à l’économie a rappelé que Paris refusait systématiquement d’extrader ses nationaux. «S’il se rend en France, la justice française pourrait décider de l’entendre dans le cadre de l’enquête en cours en France…Il ne risque pas de détention provisoire comme ce fut le cas au Japon, mais il pourrait être assigné à résidence pour éviter une fuite à l’étranger», précise Pierre d’Azémar de Fabrègues.

Que devient la procédure japonaise engagée?

Le procès de Carlos Ghosn devait se tenir en principe en mars ou avril 2020. Des rumeurs couraient toutefois sur un éventuel report, d’une année au moins. Ces délais d’attente seraient d’ailleurs l’une des raisons principales qui auraient motivé la fuite de l’ancien patron de Nissan, selon certains de ses proches cités dans la presse. Pour juger sur le fond, la justice nipponne exige la présence de l’accusé. Sa fuite suspend donc l’action judiciaire. «En France, l’enquête peut se poursuivre et le procès avoir lieu même en l’absence du « prévenu » car la Convention Européenne des droits de l’homme permet d’être représenté par son avocat, sauf si le juge exige la présence du prévenu», ajoute l’avocat français.

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Le Liban pourrait-il juger « l’affaire Ghosn »?

Il est peu probable que la justice libanaise se saisisse de l’affaire Ghosn. «Si le Japon demande l’extradition de Carlos Ghosn, le procureur général auprès de la Cour de cassation devra décider si la justice libanaise est compétente. Cela semble délicat sachant qu’on juge Carlos Ghosn en tant qu’ancien PDG d’une société étrangère dont le siège social n’est pas au Liban», explique Rizk Zogheib. «Tout dépend du délit ou du crime», tempère toutefois une autre source judiciaire. «Dans le cas d’une demande d’extradition, la justice libanaise demande le dossier et décide de poursuivre au regard du crime ou du délit. Si l’extradition est demandée pour, par exemple, une fraude fiscale au Japon, je doute qu’on juge Carlos Ghosn au Liban. En revanche, s’il s’agit d’abus de confiance, une infraction punie au Japon et au Liban, une cour libanaise pourrait le faire», précise-t-elle.

Carlos Ghosn pourrait-il voir ses biens à l’étranger saisis?

Aussitôt sa fuite connue, le tribunal de Tokyo a saisi la somme de 1,5 milliard de yens (environ 14 millions de dollars) déposées par Carlos Ghosn au moment de sa libération sous caution en avril 2019. Mais ses avoirs et biens à l’étranger sont, eux, a priori protégés. «Les saisies à l’étranger avant procès sont rarissimes», rappelle Pierre d’Azémar de Fabrègues. «Après procès, elles sont possibles dans le respect des conventions bilatérales», lesquelles n’existent pas entre le Liban et le Japon ni entre le Japon et la France.

 Quels sont les moyens auxquels le Japon pourrait recourir?

Le Liban vient tout juste de recevoir de la part du Japon une «notice rouge», émanant d’Interpol dans le but de l’aider à localiser Carlos Ghosn.  «Chaque pays membre décide de la valeur juridique à accorder à une notice rouge et d’habiliter ou non ses services chargés de l’application de la loi à procéder à des arrestations dans ce cadre» lit-on sur le site d’Interpol. «C’est la procédure normale pour un fugitif, mais le Liban n’est pas tenu et n’a pas l’habitude d’y répondre positivement», réitère Rizk Zogheib. «Si la notice rouge avait été signifiée préalablement à l'arrivée de Carlos Ghosn à Beyrouth, il aurait pu être arrêté. Maintenant, il sera seulement convoqué et entendu», prévient une autre source judiciaire.  A ce jour, Beyrouth n’a pas par ailleurs reçu de mandat d’arrêt international, applicable de toutes les façons que dans des pays avec lesquels il y a des conventions judiciaires bilatérales d’accord avec le Japon (donc pas le Liban).

Existe-t-il des cas similaires?

Il existe plusieurs cas dont des éléments peuvent rappeler l’affaire Carlos Ghosn. Le plus proche : celui du japonais Kozo Okamoto l’un des auteurs nippons du «massacre de l'aéroport de Lod» de 1972 contre l’aéroport international israélien Ben Gourion, qui avait fait vingt-six morts. Beyrouth a toujours refusé de le livrer. Kozo Okamoto, qui vit dans un camp de réfugiés palestiniens, a obtenu l’asile politique au Liban en 2000.

Peut-il devenir ministre au Liban et serait-il alors couvert par une immunité?

«Juridiquement rien n’exclut qu’il puisse être nommé comme ministre», assure Rizk Zogheib. «Le temps de sa fonction, il détiendrait un passeport diplomatique qui lui accorde une immunité complète». Cette protection diplomatique permet notamment aux personnes qui en bénéficient d'échapper à des poursuites judiciaires à l'étranger, aussi bien en ce qui concerne leurs affaires privées que publiques.