Cartographie des dégâts, communication interne, centralisation des informations… La technologie s’est révélée un outil précieux pour coordonner l’aide sur le terrain, après la tragédie qui a frappé la capitale.

Capture d'écran de openmaplebanon.com qui offre un aperçu virtuel des quartiers dévastées
Capture d'écran de openmaplebanon.com qui offre un aperçu virtuel des quartiers dévastées

Au lendemain de la double explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et une partie de la capitale, «je me suis tout de suite demandé comment on pourrait utiliser la technologie dans l’effort de sauvetage», raconte Marc Farra, un développeur libanais, fervent défenseur de l’open data (données ouvertes). Comme lui, les membres de la communauté tech ont été nombreux à se mobiliser pour soutenir l’aide humanitaire sur le terrain.

En tant que mapper, Marc Farra pense d’abord aux outils de cartographies numériques. Deux jours après le drame, il lance “Open map Lebanon” avec l’aide de Melda Salhab, data scientist et doctorante en information géospatiale, Sherif Maktabi et Michelle Melki. Cette communauté de volontaires, passionnés de cartographie open source (code source ouvert), se donne une première mission : coordonner l’effort grâce à des cartes en ligne.

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Des cartes pour gérer la tragédie

«L’écueil principal dans les situations de crise, c’est le dédoublement de l’effort : sur le terrain, les enquêtes d’évaluations des besoins et des dégâts se sont multipliés, sans coordination entre les acteurs. Résultat : certaines maisons pouvaient être visitées plusieurs fois alors même que d’autres zones étaient oubliées», explique Marc Farra. L’équipe recherche un outil qui permettrait une meilleure organisation. Conseillée par des organisations internationales, elle opte pour le logiciel Ushaidi, une plateforme utilisée notamment après le séisme à Haïti en 2010 pour cartographier les zones sinistrées.

L’équipe propose alors aux ONG sur le terrain de partager les données collectées au cours des enquêtes (besoins humanitaires et évaluation des dégâts) sur la carte. «Chaque association et individu possède une couche d’information spatiale : le but est de les combiner pour visualiser sur une seule carte le résultat de toutes les enquêtes», dit Marc Farra. Aujourd’hui, Open Map Lebanon est en contact avec plus d’une quarantaine d’ONG, dont Basecamp et Frontline Engineers. Une deuxième carte vient d’être mise en ligne offrant des options de filtrage plus sophistiquées, qui permettent d’indiquer quelle ONG réalise quoi (eau, nutrition, abris…) et dans quelle zone.

Open Map Lebanon met aussi en place un outil de partage d’informations interne aux ONG. «Nous avons développé une base de données à partir de laquelle les associations peuvent sélectionner quelles données elles veulent faire apparaître sur la carte, celles qu’elles veulent partager avec les autres ONG, et celles qu’elles préfèrent garder privées», dit Melda Salhab.

Deuxième mission que s’assigne Open Map Lebanon : évaluer l’étendue des dégâts, en visualisant les dommages rue par rue. Pour ce faire, l’équipe s’est tournée vers Mapillary, une application qui permet une navigation virtuelle entre les rues, grâce à une alimentation participative des utilisateurs. Les volontaires, qui se coordonnent par WhatsApp, prennent en photo les façades des immeubles abîmés afin de témoigner des dégâts. Prochaine étape : offrir une visualisation aérienne, grâce à une prise de vue haute résolution par drone. «Cela permettra de saisir concrètement l’ampleur des dégâts, ce que les images satellitaires comme celle fournie par la NASA, parce qu’elles n’offrent pas un niveau de détail suffisant, ne peuvent pas faire».

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D’autres initiatives de cartographie ont aussi vu le jour. “Thawra map”, une communauté créée dans la foulée du 17 octobre, a par exemple ajouté sur sa carte Google Maps, des points permettant de localiser les lits disponibles pour les victimes ainsi que les localisations des actions organisées sur le terrain.

Des employés libanais de Google, installés aux quatre coins de la planète, ont aussi décidé de participer à l’effort de reconstruction, et cela indépendamment de leur société-mère (voir encadré). Première initiative, le Beirut Crisis Shelter,  lancé par six d’entre eux.  La carte, accessible à tous, recense les lieux gracieusement mis à la disposition des habitants désormais sans logement. Que ce soit des hôtels, des écoles ou des lieux de culte transformés en abris momentanés, l’équipe en a comptabilisés une cinquantaine dans tout le pays. «Nous surveillons les réseaux sociaux à la recherche d’annonces de ce type. Nous vérifions bien évidemment leur authenticité avant de les ajouter», fait savoir Rachel Barakat, employée au département de vente de Google et «porte-parole» de l’équipe derrière la création de cette base de données. 

Autre initiative : la Beirut Business Database (BBD), une base de données qui recense les entreprises et les commerces qui ont subi des dommages le 4 août. «On a utilisé Google Maps pour avoir une idée du nombre d’entreprises affectées par les explosions. Sur un rayon de 2 km de distance par rapport au port, nous en avons recensé plus de 7 000 !»,  fait savoir Maïssa Rababy, employée dans le département de ventes de la firme américaine. La base de données est disponible à la demande et pour l’heure, une soixantaine d’ONG y ont fait appel. 

En parallèle, pour appuyer ces efforts, le “Beirut Urban Lab”, un centre de recherche de l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), a ouvert au téléchargement les données présentes sur sa carte de Beyrouth. Cette carte, unique en son genre, réunit différentes couches d’informations essentielles sur les acteurs (constructeurs, développeurs, propriétaires), des caractéristiques des appartements (nombre d’étages, occupation, parking…) et environnementales (accès à l’eau, présence de panneaux solaires).

«Le but est d’avoir une seule et même carte, dont les données sont fiables, à partir de laquelle toutes les ONGs peuvent travailler», explique Ahmad Gharbieh, professeur assistant à l’AUB et membre fondateur du Beirut Urban Lab. Ces données ne sont pas seulement nécessaires pour la coordination de l’effort immédiat. «Elles seront essentielles pour la conception d’un plan de reconstruction globale», ajoute-t-il.

Centraliser l’information

La technologie s’est aussi avérée un précieux outil de centralisation de l’information. «Tout le monde voulait aider, mais il était difficile de s’y retrouver», explique Assaad Thebian, fondateur de Gherbal, une plateforme qui promeut la liberté d’accès à l’information.

Pour y voir plus claire, l’équipe lance Elda3em.com, un site qui répertorie toutes les initiatives menées sur le terrain après l’explosion, que ce soit celles des ONG ou de particuliers et entreprises, ayant voulu venir en aide aux victimes (services médicaux, aide au nettoyage et à la réparation…). Elda3em.com propose aussi une compilation des cartes réalisées ainsi qu’un espace répertoriant les différentes collectes de fonds. «La qualité des données est primordiale et plus des trois quarts des ressources ont été directement vérifiées par l’équipe», explique Assaad Thebian. Depuis sa création, le site a attiré plus de 10.000 visiteurs.

C’est partant du même constant qu’Alexandre al-Adm, étudiant libanais à Bruxelles, a décidé de lancer avec trois autres camarades le “Beirut Disaster Relief Directory”, une application disponible sur Apple et Androïd, qui classe dans différentes catégories (abris, services de reconstruction, services médicaux..) les ressources utiles pour les victimes de l’explosion, précisant à chaque fois, si le service proposé est réalisé bénévolement ou à prix réduit. Le répertoire est collaboratif, chaque prestataire pouvant ajouter ses coordonnées à partir de l’application : «On travaille à ajouter un bouton de vérification afin d’assurer la qualité des données». Petit plus, l’application possède une interface dédiée au volontariat, permettant aux ONG de poster des appels à bénévolat pour des événements précis. Depuis sa mise en ligne, l’application a été téléchargée plus de 700 fois.

Les géants de la tech donnent pour le Liban

Les géants mondiaux de la tech s'engagent aussi pour le Liban. Facebook a ainsi annoncé la mise à disposition de plus de 2,1 millions de dollars de donations destinées aux hôpitaux et au ONG. Le géant californien Google s'est lui aussi engagé à donner la somme de 2,2 millions de dollars pour soutenir les efforts humanitaires. Les fonds iront également au Youth Business International (YBI), un réseau mondial de soutien aux entrepreneurs, afin de venir en aide aux entepreneurs impactés par l'explosion. Dans un tweet, Tim Cook, le directeur général d'Apple, a aussi annoncé que le géant de l'informatique allait donner aux organisations d'aide humanitaire au Liban, sans toutefois préciser le montant.