Alors que la quasi-totalité des biens immobiliers à Beyrouth sont désormais affichés en dollars frais, le nombre d’acheteurs capables de payer en cash ou en dehors du pays augmente. Leur motivation est de profiter de la crise monétaire pour faire de bonnes affaires.

Le nombre d’acquéreurs en dollars frais ou en vrais dollars tend à augmenter progressivement.
Le nombre d’acquéreurs en dollars frais ou en vrais dollars tend à augmenter progressivement. Mark Fayad

L’affichage des prix en dollars frais n’est pas récent. Mais avec l’accélération de l’effondrement de la livre libanaise et le maintien des restrictions bancaires, il est devenu la norme, notamment à Beyrouth où la quasi-totalité des propriétaires n’acceptent plus que les paiements par transfert en dollars frais.  Selon Ramco Real Estate Advisers, plus 90% des appartements à vendre à Beyrouth sont désormais affichés en dollars frais ou cash. La proportion de propriétaires et de promoteurs encore endettés auprès de leurs banques et qui acceptent de vendre avec un chèque bancaire est devenue infime.

L’absence ou presque de biens immobiliers en lollars étant désormais une réalité, la demande s’est adaptée et le nombre d’acquéreurs en dollars frais ou en vrais dollars tend à augmenter progressivement. Encore marginal il y a quelques mois, l’appétit croît.

«Ce sont souvent des personnes qui ont de gros moyens, qui cherchent à investir une petite partie de leur fortune. Beaucoup vivent à l’étranger. Leur argent n’est pas au Liban. Il y a deux ans, ils auraient rapatrié leur argent pour acheter un bien à Beyrouth. Aujourd’hui c’est la même chose», explique Antoine Abou Rizk, agent immobilier installé à Achrafié.

«Il y a aussi les expatriés qui ramènent de l’argent en liquide pour les placer dans un pied-à-terre à Beyrouth, et enfin les acheteurs qui sont en train de convertir leurs lollars en chèque bancaire en dollars frais. C’est le seul moyen pour eux de sortir leur épargne de leur banque», ajoute Walid Eido, un agent immobilier qui vient de finaliser la vente d’un appartement à Achrafié en dollars frais.

Ainsi, selon les spécialistes de l’immobilier, un expatrié qui avait 500.000 dollars en 2019 ne pouvait rien acheter ou presque. Aujourd’hui, avec la même somme, plusieurs options se présentent à lui. Face l’abondance de biens sur le marché, l’acheteur «cash» se sent en position de force. Il estime que la dégradation de la situation sociale peut lui être favorable et cherche à faire une bonne affaire.  «Les acheteurs cherchent de belles opportunités et ils sont prêts à prendre leur temps», précise Antoine Abou Rizk.

Des prix incohérents

Mais beaucoup d’entre eux sont surpris par l’incohérence des prix.  «Voilà un an que je cherche un appartement de 300 à 400 m2. J’ai visité quelques biens mais étant donné la situation économique du pays, je ne m’attendais pas à ces prix. Il est plus rentable d’acheter à Paris, où les prix augmentent presque chaque année, qu’à Beyrouth. C’est fou! Dans ces conditions, j’ai changé d’avis. Je garde mon argent», explique Omar (le prénom a été modifié), un Beyrouthin doté d’un budget d’environ 700.000 dollars frais.

Les prix affichés en dollars frais à Beyrouth sont effectivement très disparates. Un appartement à Raouché au 7e étage avec vue sur la mer est proposé à 4400 dollars frais par m2 alors qu’un logement à Clemenceau est annoncé à 5900 dollars frais par m2. À Abdel Wahab Inglizi, un propriétaire demande 4700 dollars frais le m2 pour un bien qui était à 5000 lollars le m2 en 2019.

Au centre-ville, les prix varient d’un immeuble à l’autre. Il s’agit uniquement de revente. Un appartement de 230 m2 situé dans l’immeuble 3Beirut est sur le marché à 4750 dollars frais le m2. Par contre, il faut compter plus de 7500 dollars frais le m2 pour un étage élevé dans la tour Beirut Terraces.

«Les propriétaires sont perdus, ou font semblant d’être perdus. Chacun affiche le prix qu’il veut, sans fondement ni logique. Les conversions entre lollars et vrais dollars prêtent à confusion. Mais l’acheteur avec des dollars frais n’est pas dupe. Il ne va pas acheter n’importe comment», dénonce un agent immobilier. «Si l’impasse politique persiste, les prix en dollars frais vont finir par baisser, tout comme le nombre d’acheteurs potentiels», prévoit Antoine Abou Rizk.