Alors que le Liban s’enfonce dans la crise, l’immobilier continue de susciter de l’intérêt. Mais ceux qui cherchent à sortir leur épargne du système bancaire n’ont plus beaucoup de choix. Dans la capitale, les chèques bancaires sont de moins en moins acceptés et les tarifs s’ajustent à la dépréciation du dollar local. 

Les dernières disponibilités sont surtout des produits qui ont eu du mal à se vendre dans le passé.
Les dernières disponibilités sont surtout des produits qui ont eu du mal à se vendre dans le passé. Marc Fayad

«C’est fou ! J’ai un client qui veut acheter un appartement d’environ 300 m2 autour du quartier Clemenceau. Il peut payer deux millions de dollars en chèque bancaire et je n’ai plus rien à lui proposer», déplore Nada, une agente immobilière. Cette frustration fait suite au boom de l’immobilier à Beyrouth démarré fin 2019.

Désireux de sortir leur épargne des banques, les acheteurs se sont pressés aux portes des agences immobilières et des promoteurs endettés pour acquérir un logement, un bureau ou un terrain, les ventes pour les locaux commerciaux étant marginales. Des milliers de biens ont ainsi changé de mains.

Les promoteurs des immeubles résidentiels à Beyrouth comme Saint Georges Residence, The Paramount, Clemenceau Residence, 3Beirut et Place Pasteur ont vendu leur stock d’appartements en quelques semaines.

Après le raz-de-marée de 2020, la demande a ralenti mais elle est toujours là. Il reste des acheteurs qui veulent «se débarrasser» de leur argent coincé dans les banques.

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«Il y a un an, ces acheteurs n’étaient pas prêts à investir dans l’immobilier. Ils n’ont pas prévu une telle dévaluation du dollar local. Aujourd’hui, ils ont compris qu’ils sont en retard et que le choix est limité», explique Zaher Boustany, directeur général de l’agence immobilière At Home in Beirut.

Mais à Beyrouth, les produits à vendre en lollars sont de plus en plus rares.

 
«Je n’ai presque plus rien à vendre à Beyrouth. Il ne me reste qu’une ou deux options, puisque depuis un an, la majorité des acheteurs ont investi dans la capitale»
 
Antoine Abou Rizk
Agent immobilier
 


«Je n’ai presque plus rien à vendre à Beyrouth. Il ne me reste qu’une ou deux options, puisque depuis un an, la majorité des acheteurs ont investi dans la capitale», confesse Antoine Abou Rizk, agent immobilier installé à Achrafié.

Selon l’agence de conseil immobilier Ramco, il resterait à peine une poignée d’appartements en lollars à la vente, dont la quasi majorité est annoncée au-delà d’un million de lollars.

Les dernières disponibilités sont surtout des produits qui ont eu du mal à se vendre dans le passé. Mais aujourd’hui, par défaut et faute d’options, les agences immobilières les proposent à leurs clients.

Des prix vertigineux

Dans ce contexte, les prix demandés atteignent des sommets. Certains chiffres donnent le vertige.

Ainsi, le mètre carré affiché a atteint 6900 lollars pour un 260 m2 à Sioufi, 7575 lollars à Furn el-Hayek pour un 12e étage. À Manara, un propriétaire demande 9650 lollars le m2 pour un 440 m2 avec vue sur la mer. Dans le complexe Waterfront de Dbayeh, un appartement de 600 m2 est mis sur le marché à 5,5 millions de lollars soit 9166 lollars par m2.

La valeur de certains biens a fortement augmenté au cours des derniers mois. Comme cet appartement de 260 m2 à Verdun, désormais affiché à 6900 lollars le m2 contre 3500 lollars le m2 il y a un an. Une inflation qui s’explique par la dévaluation du chèque bancaire.

Les vendeurs corrigent donc les prix en conséquence. Mais encore faut-il que les acheteurs acceptent une telle augmentation.

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«Les propriétaires demandent des prix exorbitants. Je ne propose même plus des biens à ces tarifs à mes clients. Oui, ils sont prêts à perdre mais pas à sacrifier leur épargne», avoue Antoine Abou Rizk.

Les acheteurs qui peuvent pas payer en dollars «frais» n’ont toutefois plus vraiment le choix.

«Le challenge est de trouver des vendeurs qui prennent encore des lollars. Sinon on essaye de convaincre le vendeur qui veut du cash de convertir son prix en lollars», explique Zaher Boustany,

Mais avec la multiplicité des taux de change et l’opacité du marché noir, les taux de conversion varient entre l’acheteur et le vendeur. Dernièrement, un lollar se situait entre 3 et 3,5 dollars cash.

«Il faut que chacun accepte de perdre un peu pour pouvoir trouver un accord», ajoute Zaher Boustany.

À défaut de trouver des appartements et des bureaux disponibles, les agents immobiliers tentent d’orienter leurs clients vers le foncier partout au Liban où le choix en lollars est plus vaste et où les prix n’ont pas flambé, à l’exception du secteur de Kfardebian.

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«Les banques ont encore beaucoup de terrains à la vente et elles acceptent les paiements en lollars. Il y a aussi des sociétés de promotion immobilière qui veulent liquider le stock de terrains qu’elles avaient acquis dans le passé pour des projets de lotissement. Les prix de ces stocks sont encore raisonnables», précise Antoine Abou Rizk.

Plusieurs épargnants ont ainsi investi dans leur village natal. D’autres se sont tournés vers de petites parcelles d’environ 1000 m2 dans des lotissements aménagés par des promoteurs qui acceptent des paiements en chèque bancaire.

 
«Avec le temps, les disponibilités vont revenir. Le choix va s’étoffer lorsque certains vendeurs vont vouloir quitter le pays et vendre»
 
Zaher Boustany
directeur général de l’agence immobilière At Home in Beirut
 


Ainsi, un projet autour de Batroun a vendu une cinquantaine de parcelles sur un total de 70 en l’espace de 12 mois.

«Avec le temps, les disponibilités vont revenir. Le choix va s’étoffer lorsque certains vendeurs vont vouloir quitter le pays et vendre», prévoit Zaher Boustany.