Un article du Dossier

Le marché de l’automobile touché par la crise

Après l’effondrement des ventes en 2009 et 2010, le marché mondial de l’automobile est en pleine récupération malgré la crise au Japon, et les inquiétudes autour d’une rechute économique en Europe et aux États-Unis. Au Liban, la situation est tout autre.
 

Entre la crise politique locale du premier semestre, la situation régionale explosive, la hausse des prix de l’essence et la baisse du pouvoir d’achat, le secteur automobile libanais a été très malmené cette année.
Le chiffre total des ventes de voitures neuves qui est en recul de 5 % en septembre en rythme annuel ne reflète pas suffisamment bien l’ampleur des difficultés rencontrées : la moyenne masque un grand déséquilibre entre les voitures coréennes, qui progressent de 30 %, et le reste du marché, en chute libre.
Selon la majorité des concessionnaires interrogés, le recul global des ventes s’explique par la baisse du pouvoir d’achat des Libanais et la hausse des prix de l’essence.
Il est aussi lié, mais en moindre mesure, à la crise politique qui a secoué le Liban au début de l’année et aux troubles régionaux, surtout en Syrie depuis mars. La contestation du pouvoir de Bachar el-Assad « influe directement sur le marché local », selon Albert Bassoul, directeur général de Bassoul-Heneiné, (Renault, Dacia, BMW, Alfa Romeo, Mini).
Pour Samir Homsi, président de l’Association des importateurs de voitures neuves, « la situation du marché automobile n’était pas bonne jusqu’en juin avant une légère détente après la formation du gouvernement ». « Nous prévoyons une légère embellie avec le lancement de nouveaux modèles par les constructeurs », depuis septembre, dit-il.

Les ventes plombées par les agences de location

La chute de la demande des agences de location de voitures, qui ont l’obligation légale de renouveler leur stock tous les trois ans, est l’un des facteurs d’explication de la contreperformance du marché. Ce segment n’a représenté que 6,8 % du total des ventes fin septembre, soit 1 646 véhicules, alors que ce chiffre représentait en moyenne près de 25 % des ventes durant les années précédentes.
Walid Rasamny, PDG de Century Motor Company (Hyundai), en témoigne : les ventes de sa marque coréenne aux sociétés de location n’ont représenté que 15 % du total des ventes contre près du double les années précédentes.
Selon Naji Heneiné, directeur des affaires commerciales de Bassoul-Heneiné, cette baisse est due au fait que les sociétés de location n’ont pas voulu renouveler leur parc à cause des troubles locaux et régionaux, et de la baisse importante du nombre de touristes (-25 % en rythme annuel).

Un marché d’occasion en berne

Le marché des voitures d’occasion ne se porte pas mieux. Avec seulement 29 561 voitures vendues durant les huit premiers mois de l’année, il enregistre une baisse de plus de 25 % sur un an, notamment après les accusations de blanchiment d’argent lancées par le Trésor américain contre les importateurs de voitures d’occasion.
Leur part de marché par rapport aux voitures neuves est ainsi tombée à 55 % sur les huit premiers mois, alors qu’elle était de près de 65 % fin août 2010. En 2009 et 2010, le segment de la seconde main représentait 68 et 64 % du total des ventes des voitures au Liban.
La tendance à la baisse des voitures usagées s’est ainsi confirmée depuis 2010, les grosses cylindrées (Mercedes et BMW) et les 4x4 de luxe (Land Rover) représentant la grande majorité des ventes. « Le marché de l’occasion est en déclin principalement à cause du prix de l’essence, les voitures importées étant en général les grosses cylindrées, et en raison de l’absence de garantie sur les modèles importés », note Walid Rasamny. 

L’exception coréenne

Dans un marché globalement baissier, quelques segments affichent une santé insolente. C’est surtout le cas des voitures coréennes, mais aussi des voitures de luxe et des 4x4.
Ainsi, les ventes de voitures japonaises ont connu une dégringolade sans précédent de près de 28 % sur les neuf premiers mois de l’année, suivies par les européennes dont les ventes ont chuté de 13 % et les chinoises, qui peinent à s’imposer sur le marché, de 10 %. Les américaines limitent quelque peu la casse et voient leurs ventes diminuer de 1,5 %.
Les voitures coréennes ont par contre le vent en poupe. Elles ont représenté 42 % des 24 400 véhicules neufs vendus sur les neuf premiers mois de l’année et avaient presque atteint en septembre leur niveau de l’ensemble de l’année dernière.
Samir Homsi explique le phénomène par un changement radical des habitudes de consommation des Libanais, qui recherchent une voiture à prix abordable et dont la consommation reste faible. « Cette tendance va se poursuivre, les Libanais étant contraints de s’accommoder de petites voitures dans un pays où les transports en commun sont quasi inexistants. »
« Les voitures à petit budget, notamment les coréennes, raflent la mise, elles grignotent même sur la part de marché des voitures d’occasion », note Naji Heneiné. Pour lui, l’équation petit budget-faible consommation d’essence est gagnante en temps de crise.
Anthony Boukather, directeur exécutif de A. N. Boukather, concessionnaire de Mazda au Liban, confirme : « Le pouvoir d’achat des Libanais a baissé. La majorité des consommateurs recherchent un produit moins cher, ce qui les pousse vers les voitures coréennes plutôt que les japonaises handicapées par la valeur élevée du yen. »
Les voitures européennes ont aussi été pénalisées par un euro fort (1,45 dollar en début d’année), note Albert Bassoul, et par leur absence sur le segment des petites voitures qui concurrencent les coréennes.
« Plus les prix de l’essence augmenteront et plus le consommateur se tournera vers les petites cylindrées, notamment les coréennes présentes en force dans les segments A et B (minis et citadines) qui représentent la grande majorité de leurs ventes », explique Fayez Rasamny, PDG de Rymco (Nissan, Infiniti et GMC).  
« La stratégie de vente des constructeurs japonais est basée sur la qualité et la sécurité des voitures, alors que celle des coréens est basée sur les prix », ajoute-il.

Offres tous azimuts

Pour relancer les ventes de voitures, les concessionnaires multiplient les offres et tentent de limiter leurs marges de bénéfices. « Nous mettons en place des campagnes tactiques durant lesquelles nous sacrifions nos prix pour écouler notamment des modèles en fin de vie comme la série 3 de BMW et dont les résultats ont été excellents », explique Albert Bassoul.
« Nous avons encouragé l’achat de nos modèles en offrant à titre d’exemple l’enregistrement gratuit sur les Cadillac entre août et octobre, et en proposant les meilleures offres de l’année sur chaque modèle Chevrolet, ce qui nous a permis de relancer les ventes et d’atteindre le niveau de l’année dernière », affirme Farid Homsi, directeur général d’Impex (Cadillac, Chevrolet, Isuzu, Hummer).
Assaad Dagher, PDG de Sofidal, la holding du groupe Dagher-Hayeck (Peugeot, Citroën, Kia, Mitsubishi, Seat, Saab), compte sur l’arrivée des nouveaux modèles pour relancer les ventes notamment de Citroën avec la nouvelle C4, bien qu’il affirme que la marque aux chevrons et la Peugeot s’en sortent relativement bien (-24 et -5 %).
D’autres concessionnaires privilégient le service après-vente pour fidéliser la clientèle et n’hésitent pas à investir dans des garages offrant la dernière technologie de pointe. « Avec notre nouveau centre de service de 12 000 m2, nous voulons faire économiser du temps à nos clients et leur offrir un service personnalisé et irréprochable », souligne Anthony Boukather.
Même son de cloche chez Hyundai, qui investit dans un garage de 13 000 mètres carrés et attend l’arrivée de nouveaux modèles du géant coréen pour augmenter encore plus ses ventes.

Perspectives sombres

Ces mesures commerciales ne rassurent pas pour autant les acteurs du marché : 2012 ne connaîtra pas d’embellie notable, estiment la majorité d’entre eux. « Avec l’augmentation prévue de la TVA et du prix de l’essence, les ventes stagneront, voire baisseront, et c’est encore une fois les voitures bon marché qui seront les plus demandées », souligne Assaad Dagher.
Selon un spécialiste du secteur, qui a requis l’anonymat, le marché de l’automobile est « en grosse crise, la marge des profits étant complètement laminée et la survie de certains concessionnaires est désormais menacée ».

 

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