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Tourisme alternatif : visiter le Liban… autrement

Le Liban est un véritable petit paradis potentiel pour l’écotourisme. Entre sa géographie, son infrastructure et sa culture d’accueil, tous les éléments sont disponibles pour répliquer le modèle corse. Les initiatives se multiplient d’ailleurs en ce sens, malgré les obstacles liés à l’absence de réglementation et à l’urbanisation galopante.
 

Avec ses 300 jours de soleil par an, ses nombreux sentiers, sa géographie diverse, ses réserves naturelles, ses panoramas dignes des plus belles régions du monde, la qualité et la chaleur de son accueil, le Liban a tous les atouts nécessaires au développement de l’écotourisme, ou encore du tourisme équitable ou responsable.
Souvent voire toujours associé aux randonnées, l’écotourisme n’a pas encore de définition arrêtée dans le monde. L’organisation internationale d’écotourisme TIES l’a défini en 1990 comme « un voyage responsable dans des zones naturelles qui préserve l’environnement et améliore le bien-être des communautés locales ». 
« Il s’agit d’une activité qui donne aux habitants d’une région les moyens d’éviter l’exode rural en créant des emplois à partir du tourisme vert », explique André Béchara, fondateur de l’agence de tourisme Great Escape. « À Taanayel, à partir du moment où nous avons offert la possibilité de louer un vélo, nous avons employé cinq personnes de la région, entre gardiens et loueurs », renchérit Élia Ghorra, responsable du domaine de Taanayel, une des success-story en matière d’écotourisme (au sens large) au Liban.
Dans le monde, l’écotourisme connaît une croissance constante ces dernières années, poussé par une prise de conscience de l’impact souvent négatif du tourisme sur l’environnement et par la volonté de protéger et de promouvoir les communautés locales. Au Liban, l’écotourisme a commencé à la fin des années 90, grâce à quelques initiatives locales, mais n’a pris son essor que ces dernières années, avec une multiplication de l’offre. L’association du LMT (Lebanese Mountain Trail, un sentier de randonnée qui traverse le Liban) souhaite s’inspirer des exemples de la Corse et du Costa Rica, modèles d’écotourisme dans le monde. La Corse, petite île à peine plus petite que le Liban et à la géographie assez similaire, est réputée pour le G20, ce fameux sentier de randonnée qui la traverse et attire chaque année des milliers de passionnés de randonnée ; et le Costa Rica, petit pays d’Amérique centrale riche en faune et flore, est considéré à la pointe de l’écotourisme mondial et attire plus de deux millions de visiteurs par an, dont près de la moitié pour de l’écotourisme. Guido Benevento, de la coopération italienne, est catégorique : « Nous sommes persuadés que l’écotourisme est un très bon moyen pour développer l’économie du Liban. »

Des acteurs dispersés
 
Le nombre d’acteurs dans l’écotourisme est en constante progression ces dernières années : outre les tour-opérateurs qui organisent des randonnées et des treks (il y en a plus de 30 recensés à ce jour, contre moins de 10 il y a une dizaine d’années), on compte aussi les acteurs locaux : guides et maisons d’hôte, les ONG et autres institutions (comme le LMT, le réseau de chambre d’hôte Dhiafee), les municipalités, le ministère du Tourisme et les bailleurs de fonds (notamment USAID et la Communauté européenne). Tous ces acteurs multiplient les initiatives dans diverses régions du Liban : la coopération italienne a par exemple financé l’aménagement d’un sentier de randonnée dans le Barouk ; André Béchara forme des guides locaux et travaille sur des projets pour les zones naturelles de Jabal Moussa et Deir el-Ahmar ; Souk al-Tayeb, le marché de producteurs, ouvre un restaurant à Ammiq dans la Békaa, dont les revenus sont censés financer la restauration et la réhabilitation des maisons du vieux village de Ammiq en maisons d’hôte ; The Orange House à Tyr a rénové un Bed and Breakfast et lutte pour la protection des tortues de mer…
Toutes ces initiatives contribuent à apporter une dynamique certaine au secteur, mais restent encore dispersées. Quelques tentatives de regroupement sont à signaler : l’ONG Beyond Beirut, qui travaille au développement de l’écotourisme au Liban, a organisé en octobre 2011 le premier forum sur le tourisme durable au Liban. « L’objectif était de réunir tous les acteurs, de mettre en contact les municipalités avec les tour-opérateurs pour créer des opportunités d’affaires », explique Nell Abou Ghazali, présidente de l’association. L’association Dhiafee tente de créer un réseau de maisons d’hôte facilement accessibles à travers tout le Liban.
Mais ces initiatives sont encore insuffisantes pour forger l’identité de l’écotourisme libanais, et en faire la promotion au sein du Liban et à l’international. Cette dernière reste par ailleurs encore limitée : les publicités sur le Liban insistent davantage sur ses plages, ses pistes de ski, sa vie de nuit et ses vestiges historiques, plutôt que sur ses merveilles naturelles. Le ministère du Tourisme affirme cependant que cette année une série de documentaires réalisés par CNN couvrira tous les aspects du tourisme au Liban, y compris l’écotourisme et le tourisme d’aventure.

Une clientèle en progression

La clientèle principale de l’écotourisme reste encore locale : « L’écrasante majorité des randonneurs sont des Libanais ou des expatriés habitant au Liban », témoigne Michel Moufarrej, fondateur de Liban Trek. Souvent influencé par la culture occidentale, le client type a entre 30 et 55 ans, est cultivé et comprend la nature.
Le problème est que beaucoup de tour-opérateurs se contentent de proposer des randonnées d’une journée, sans apport aucun pour les communautés locales, si ce n’est l’arrêt obligatoire pour la traditionnelle mankouché en chemin. « La difficulté est d’encourager les touristes à dormir chez l’habitant, explique Karim el-Jisr, président du comité du LMT, afin que les communautés locales tirent profit de l’expérience. ». Il précise que tout tourisme équitable doit respecter un triangle d’or : « Le touriste ne doit pas payer trop cher, le tour-opérateur doit y trouver son compte et les acteurs locaux (guide, maisons d’hôte) aussi. »
« Le potentiel de développement est à l’international », affirme-t-il. Le LMT a par exemple participé en 2011 à la première conférence internationale sur les sentiers de randonnée qui s’est déroulée en Corée du Sud : « Nous étions la seule organisation du Moyen-Orient. »
Le Liban est souvent proposé par les tour-opérateurs étrangers en package avec la Jordanie et la Syrie, ce qui a poussé certaines initiatives locales à tenter de capitaliser sur cette association : « Nous avons lancé en 2009-2010 un projet d’écotourisme commun avec la Jordanie et la Syrie, car les Européens (et Américains) viennent en général visiter les trois pays en même temps ; l’idée est d’associer écotourisme et tourisme culturel », explique Nizar Hani, en charge de la réserve du Chouf, qui couvre 5 % du territoire libanais. Cette association est malheureusement mise à mal par les violences qui se déroulent en Syrie : de l’avis de tous, le nombre de visiteurs en provenance de l’étranger a beaucoup diminué cette année.
Il n’existe pas de réglementation spéciale pour l’écotourisme au Liban. Les agences sont des agences commerciales, pas des agences de voyages. La plupart des sociétés, du moins les plus sérieuses, tentent de suivre les normes édictées par des organismes internationaux, comme celles de standards de sécurité et d’encadrement américaines ou européennes, ou comme la norme Leave No Trace, qui préconise de ne rien laisser derrière son passage lors d’une visite en zone rurale.
Le secteur souffre de ce manque de réglementation, qui ne l’aide pas à gagner en crédibilité. Le LMT, conscient de ce handicap, a travaillé avec le ministère du Tourisme pour créer un label d’accréditation de maisons d’hôte, respectant certains standards d’hygiène et d’accueil. « Nous devons maintenant le mettre en place », annonce Karim el-Jisr. L’association travaille également sur un système d’accréditation pour les guides locaux.
Autre sujet sur lequel le manque de réglementation générale dans le pays nuit à l’écotourisme : la protection des sentiers et des réserves, qui ne sont pas appréciés à leur juste valeur.
« Il y a beaucoup de détériorations sur les sentiers, souvent par manque d’éducation », avance Michel Moufarrej. Le tracé de nouvelles routes, les décharges, les carrières, les constructions immobilières illégales… autant de menaces qui pèsent sur la viabilité de l’écotourisme sur le long terme. « Un réel travail d’éducation et de mise en valeur de la culture locale doit être entrepris », plaide André Béchara.

Une économie encore émergente

Les revenus liés aux activités d’écotourisme sont encore limités : par exemple, la marche mensuelle organisée par le LMT en avril le long des sentiers du Liban a permis d’injecter 30 000 dollars dans les communautés locales, pour un équivalent de 550 nuitées, des repas et les services de guides locaux.
Les statistiques de fréquentation sont globalement en hausse : la réserve du Chouf a accueilli près de 70 000 visiteurs l’année dernière. À titre de comparaison, la grotte de Jeita avait accueilli plus de 160 000 visiteurs en 2009, date des dernières statistiques disponibles. Et le domaine de Tannayel, qui mixe écolodge, ferme, activités nautiques, vélos et randonnées, a accueilli plus de 10 000 visiteurs en avril 2011. Cela reste cependant insuffisant pour une bonne partie des agences de randonnée, qui tirent une partie importante de leurs revenus d’activités annexes, tel le conseil, le team building, etc.
« Un des signes les plus sûrs de la croissance du secteur, c’est que maintenant on trouve les équipements dans les magasins de sport, alors qu’avant on devait les importer d’Europe ou des États-Unis, s’amuse André Béchara. Aujourd’hui, le randonneur avec son sac et ses chaussures n’est plus un type bizarre, il fait partie du paysage libanais. »

Réserves et patrimoine mondial

Le Liban a treize réserves naturelles protégées par la loi qu’il peut mettre en avant pour encourager l’écotourisme.
Parmi elles :
- La réserve des cèdres du Chouf, qui couvre 5 % du territoire libanais.
- Horsh Ehden au nord du Liban.
- L’île aux palmiers, située en face de Tripoli.
- La forêt de cèdres de Tannourine.
- Bentael, première région naturelle à bénéficier du statut de réserve naturelle en 1981, dans la région de Jbeil.
- La côte de Tyr.
- Yammouné, dans la région de Baalbeck.
Par ailleurs, deux sites naturels sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco : la vallée de la Qadisha et la forêt des Cèdres. Outre les réserves naturelles (Mehmiyé en arabe) officiellement protégées par l’État libanais, les municipalités ont la possibilité de protéger certaines zones dépendant de leur circonscription grâce au concept de Hima, sorte de réserves déclarées par les municipalités, pour outrepasser les procédures souvent longues de l’État. Un exemple en est la Hima de Kfar Zabad, près de Anjar, important passage de migration pour les oiseaux qui était menacé il y a cinq ans de devenir une décharge municipale.

 

Le LMT, un sentier de randonnée à travers le Liban

Le Lebanese Mountain Trail (LMT) est un parcours de randonnée de 440 km de long qui traverse le Liban du Nord au Sud. Il lie deux réserves naturelles : Tannourine et les cèdres du Chouf, et connecte plus de 71 villages. Le projet a formé 50 guides locaux, établi 11 maisons d’hôte, aménagé deux places publiques, une aire de camping, une aire de pique-nique, et a mobilisé une cinquantaine de municipalités et une dizaine d’ONG afin de préserver le sentier. Des cartes et documents ont également été produits. Cofinancé à hauteur de 3 millions de dollars par l’USAID, il a vu le jour grâce à la persévérance d’Écodit, une organisation de conseil en tourisme alternatif. L’association LMT, fondée en octobre 2007, travaille depuis à la protection du sentier, à l’éducation à l’environnement, au développement rural, et à la promotion du LMT au niveau local et international.
« L’idée est que le LMT est un patrimoine à préserver », explique Karim el-Jisr, président du comité du LMT. Toujours à la recherche de fonds – l’association a besoin de 200 à 250 000 dollars par an pour fonctionner –, le LMT développe un système de parrainage des 26 sections du sentier de randonnée, à raison de 500 dollars par kilomètre. « Cela peut faire partie des programmes de responsabilité sociale des entreprises », avance Jisr. Des systèmes de jumelage avec des sentiers à l’étranger sont également en cours d’étude.

 

 

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