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Plages : nouvelle vague d’investissements

La rentabilité des plages libanaises est au rendez-vous et les inaugurations d’établissements ne faiblissent pas. En mal de touristes étrangers, les plages sont sensibles à la situation sécuritaire mais peuvent compter sur une solide clientèle locale. Les établissements multiplient les investissements, soutenus par l’arrivée d’opérateurs internationaux attirés par un secteur en pleine expansion.
 

Greg Demarque

Le développement des plages libanaises acquiert une autre dimension cette année sous l’impulsion d’investisseurs internationaux. Jusque-là opérées par des investisseurs locaux, les plages du Liban suscitent désormais la convoitise. Aucun établissement n’a fermé depuis des années, signe de la rentabilité du secteur qui s’appuie sur une clientèle locale très fidèle. Les opérateurs internationaux misent autant sur cette cible fidèle que sur les touristes étrangers que le Liban sera en mesure d’attirer dès que la situation politico-sécuritaire sera apaisée.
L’américain Warwick International Hotels est le premier à s’être lancé dans l’aventure en investissant dans le Pangéa, situé à Jiyé et détenu par le Libanais Hussein Charafeddine. L’occasion pour l’établissement de relancer son projet d’hôtel, en construction depuis plusieurs années, dont l’ouverture est désormais prévue en 2013. Tout près de là, c’est le néerlandais Golden Tulip qui opère désormais Jiyeh Marina. Suivront le Kempinski Summerland du suisse Kempinski Hotels en 2013 à Beyrouth, et le complexe de l’américain Nikki Beach en 2015 à Damour.
Tous ces établissements posséderont à terme un hôtel et, pour certains, des villas à louer ainsi que des salles de conférences, de sport et des spas. Des projets de grande envergure qui font presque oublier que le secteur a dû tout recommencer à zéro après la guerre civile, lorsque certaines plages célèbres des années 1970, telles que le Saint-Simon et l’Acapulco, avaient été occupées par les réfugiés et remplacées par des constructions anarchiques. La baie de Jounié, le centre balnéaire le plus important du Liban, était recouverte de nombreux bâtiments illégaux construits par des promoteurs peu scrupuleux.
C’est dans ce contexte troublé que Nassif Azzi a ouvert Jonas Beach en 1993 à Jiyé, la première plage de sable du Liban d’après-guerre. Un établissement inauguré avec le strict minimum : un restaurant-snack et un bassin en guise de piscine. Quelques établissements suivent, sur le même modèle, comme le Saint-John et l’Atlas Beach (fermés depuis) à Jiyé, ou le Paradise et le Tam-Tam à Jbeil.

Des concepts plus élaborés

Le développement du secteur emprunte de nouvelles voies en 1999, avec l’ouverture de plages aux concepts plus élaborés. C’est le cas de Bamboo Bay, qui devient le pionnier des beach-parties en s’associant avec le Circus, un restaurant-bar à la mode de la rue Monnot.
En 2000, le retrait israélien du Sud suscite la curiosité des Beyrouthins pour cette région méconnue et pousse des opérateurs locaux à inaugurer de nouvelles plages. C’est à cette époque qu’ouvrent l’Océana à Jiyé ainsi que La Voile Bleue à Rmailé, lancée parallèlement à La Voile Rouge à Jbeil par un groupe d’investisseurs réunis autour de la famille Boubess (propriétaires des marques de restauration Piazza, Entrecôte, Scoozi entre autres).
L’année 2003 marque un tournant, avec notamment l’arrivée de Roger Eddé à Byblos. L’homme d’affaires développe Eddé Sands, un gigantesque établissement qui s’étend aujourd’hui sur 110 000 m² et dont l’investissement a représenté 40 millions de dollars. Eddé choisit de travailler avec un architecte, Galal Mahmoud, qui construit l’identité de la plage autour de la couleur pourpre inspirée des Phéniciens. Les différentes enseignes d’Eddé se déploient aussi dans Byblos, avec six cafés et restaurants ouverts dans le vieux souk, ainsi qu’à Beyrouth avec éCafé.
La guerre avec Israël, en 2006, anéantit une année qui semblait très prometteuse. Les plages mettent trois ans à se remettre du désastre et à voir revenir les investisseurs. L’occasion pour de nombreux développeurs de travailler leurs concepts, de plus en plus aboutis. Orchid, à Jiyé, mise sur le haut de gamme, présente une architecture étudiée et n’accepte que les clients de plus de 21 ans, sur réservation. Lazy B, à Jiyé également, opérée par la famille Boustany, propriétaire du terrain, promeut le calme et la relaxation, excluant la musique et privilégiant les espaces verts. Le C Flow, à Byblos, accueille des événements à fort potentiel médiatique afin d’attirer la clientèle branchée.

Projets à usage mixte

Dans ce secteur en expansion, qui emploie plus de 10 000 personnes, les opérateurs sont confrontés au problème de la saisonnalité. Les plages ne peuvent ouvrir que six mois dans l’année (de mai à octobre, généralement) et ne fonctionnent à plein régime qu’en juin, juillet et août. Au total, ces établissements travaillent seulement vingt week-ends par an, une situation qui a poussé les investisseurs à développer des projets à usage mixte. Ceux-ci comprennent, en plus de la plage, une offre hôtelière et/ou des villas à louer.
Ces prestations autorisent les complexes à rester ouverts en hiver, quand bien même la plage est inaccessible. La période d’activité passe alors de six à douze mois, ce qui permet en théorie d’accélérer l’amortissement des investissements. Mais il subsiste un doute sur la viabilité d’un tel concept, la côte libanaise n’étant pas considérée comme une destination hivernale par la clientèle.
L’appellation “plages” va ainsi du petit établissement familial du type de Jonas Beach, qui représente 150 000 dollars d’investissement, à des “resorts” du type de Nikki Beach, qui envisagent 20 millions de dollars d’investissement. Ces différents projets n’ont de commun que de posséder une façade maritime.
L’engouement des investisseurs pour les “resorts” finit par poser un problème de terrains. Les établissements à usage mixte occupent de grands espaces et les disponibilités en bord de mer sont de plus en plus rares au Liban, qui compte 220 kilomètres de côte. Par exemple, le projet Damour Beach Resort, des frères Abchee (Monoprix, BHV, CityMall, …), doit s’implanter sur 220 000 m² de terrains déjà loués, dont 22 000 m² sont actuellement utilisés pour la plage inaugurée cette année. C’est la raison pour laquelle la zone de Damour est convoitée. Elle dispose de nombreux terrains agricoles, non encore urbanisés. Cette zone, située à 10 minutes de Beyrouth, doit accueillir trois “resorts” dans les années qui viennent : la phase 2 de Damour Beach Resort (2014), Nikki Beach (2015) et Port D’Amour.

Inflation des prix

L’émergence de ces nouvelles offres a un point commun : leur positionnement dans le segment “haut de gamme”. Une tendance déjà très affirmée dans les établissements existants, qui soutiennent quasiment tous vouloir offrir un service de “qualité” afin de justifier l’augmentation de leurs billets d’entrée, qui peuvent aujourd’hui dépasser les 45 000 livres le week-end, contre un maximum de 30 000 livres en 2009. Passer une journée à la plage devient de plus en plus cher, particulièrement pour les familles. Un couple avec deux enfants dépassera facilement 100 000 livres rien que pour l’entrée.
Mais les billets d’entrée n’assurent pas à eux seuls la rentabilité. Les clients consomment nécessairement un repas et des boissons. Nombre d’entre eux profitent des prestations VIP (“huts”, coins privatisés, lits, jacuzzis, etc.), facturées plusieurs centaines de dollars. D’autre part, toutes les plages accueillent une activité de banquets et de mariages, qui ont lieu principalement pendant les trois mois d’été. Il faut enfin ajouter les événements (concerts, émissions de télévision…) rentabilisés grâce à la billetterie et aux sponsors recherchant la forte visibilité médiatique de ces manifestations.

Un développement géographique inégal

À l’avenir, les zones les plus proches de Beyrouth devraient continuer à se développer. C’est le cas de Damour au sud de la capitale, mais également de Batroun au nord, proche à la fois de la ville et de la montagne. Quant aux zones géographiques situées à l’extrême sud et l’extrême nord du pays, telles que les régions de Tyr et de Tripoli, elles restent en marge des développements du secteur. En proie à des tensions sécuritaires, elles sont aussi situées trop loin de Beyrouth et souffrent de l’augmentation du trafic routier qui décourage les estivants de passer une journée loin de la capitale. La région de Tyr offre pourtant les plus belles et les plus vastes plages du Liban, mais aucun investisseur ne prévoit encore de s’y implanter. Le célèbre Resthouse de Tyr tire son épingle du jeu, mais reste le seul établissement d’envergure de la région.

Une clientèle jeune

La clientèle des plages évolue assez peu. Constituée en majorité de jeunes Libanais, elle cherche généralement une ambiance propice à la fête et aux rencontres.
Les familles, moins nombreuses, se pressent dans certains établissements qui leur dédient des installations particulières, comme c’est le cas au Bamboo Bay par exemple. En juillet et en août, les expatriés revenus au Liban pour l’été constituent également une part importante de la clientèle.
Les touristes, pour la plupart européens, fréquentent souvent les plages libanaises, mais ils représentent la catégorie la plus sensible à la situation politico-sécuritaire.

Pollution

Les plages subissent le problème récurrent de la pollution. La capacité des stations d’épuration est toujours largement insuffisante : 90 % des eaux usées étaient rejetées directement dans la mer en 2010.
Le niveau de pollution bactérienne, lorsqu’il est calculé, atteint des niveaux extrêmement élevés, bien au-delà des normes réglementaires. C’est particulièrement le cas dans les zones habitées, comme à Jounié et Beyrouth, qui accueillent de nombreux établissements balnéaires.

Le ministère du Tourisme veille

En prévision de la saison d’été, le ministère du Tourisme a émis le 25 avril 2012 une circulaire énonçant un certain nombre de règles à respecter pour les plages du Liban.
Signée par Nada Sardouk, directrice générale des affaires touristiques, elle rappelle quelques obligations, comme la présence de maîtres nageurs diplômés, la mise à disposition d’eau potable gratuite, l’affichage des prix, l’existence d’une infirmerie, mais aussi et surtout l’exigence de recevoir les clients « sans discrimination de race, de nationalité, ou de handicap ».
Les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent régulièrement la sélection effectuée à l’entrée des plages, qui empêcherait les travailleurs migrants d’accéder aux établissements balnéaires. Le ministère promet des contrôles réguliers effectués par les 80 agents de la police touristique et les 30 inspecteurs du ministère du Tourisme.

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