Un article du Dossier

Success stories libano-arméniennes

Depuis 2000, Chahé Yérévanian a repris en main le groupe immobilier créé par son père, Ara Yérévanian, au début des années 1960. Sous sa direction, Sayfco est devenu l’un des leaders du secteur, avec 100 millions de dollars de chiffre d’affaires de moyenne annuelle et près de 1 000 logements vendus entre 2010 et 2011.

Lamia Maria Abillama

Avec 1,3 million de mentions “J’aime” sur Facebook, le promoteur immobilier Sayfco fait figure “d’entreprise phénomène” des réseaux sociaux libanais. Pourtant, rien de particulièrement glamour derrière ce nom : Sayfco construit et vend des appartements depuis les années 1960. « Nous sommes la première page Facebook “immobilier” au monde par l’importance du nombre de personnes qui nous suivent », s’enorgueillit le PDG de Sayfco, Chahé Yérévanian. Cet engouement résulte en fait d’une stratégie marketing bien ficelée: dès 2009, le promoteur a intégré les réseaux sociaux, parmi sa communication. « C’est un média exceptionnel pour rester en contact avec les Libanais expatriés, fait valoir Chahé Yérévanian, 41 ans à peine, PDG de l’entreprise depuis 2000. Grâce à Facebook, nous avons, par exemple, vendu 100 % de notre projet les Crystal Towers, en  deux semaines. Un record ! »

Cibler les classes moyennes

Mais cette façade high-tech ne doit pas faire oublier que Sayfco n’a rien d’une start-up. C’est en fait une importante société libanaise de 300 salariés pour un chiffre d’affaires de quelque 100 millions de dollars par an en moyenne. Sayfco a vendu aux alentours de 1 000 unités (appartements, chalets, suites…) ces deux dernières années. « Auparavant, nous menions nos projets seuls, assurant le financement depuis l’achat du terrain jusqu’à la construction des bâtiments, puis la vente des logements. Aujourd’hui, nous privilégions des partenariats. Ce qui nous offre davantage de flexibilité de trésorerie et permet d’envisager davantage de projets concomitants. »
Que de chemin parcouru depuis la fin des années 1950. Ara Yérévanian fonde alors les Établissements Ara Yérévanian à Jdeidé. L’entreprise est alors une usine de polypropylène, qui fabrique notamment des éponges ménagères. « Mon père est né à Beyrouth où son propre père, Kevork Yérévanian, avait fini par s’installer. Mon grand-père avait échappé de justesse au génocide, fuyant les camps de concentration turcs où il avait été emprisonné avant de parvenir à Beyrouth et d’y refaire sa vie. Nous n’étions pas riches et mon père a d’abord démarré des activités d’import-export avant de fonder cette usine d’éponges. » Dès qu’il empoche ses premiers gros bénéfices, Ara Yérévanian se lance dans l’immobilier, « c’était logique à l’époque, au vu des besoins de la communauté arménienne, qui sortait enfin des camps de Beyrouth. Le slogan de mon père, sa motivation première était : “Un toit pour tous” ». Cette volonté se traduit par un premier projet de 300 logements à Antélias. « À l’époque, mon père vendait une cinquantaine d’unités par an. Le prix de vente tournait alors autour de 30 000 dollars. Aujourd’hui, ces mêmes appartements se revendent autour de 120 000 dollars pour une surface de 85 m2. »
Preuve de sa réussite, Ara Yérévanian est élu député au Parlement libanais à partir de 1972. Soutenu par les trois principaux partis politiques arméniens, il recueille alors plus de 95 % des suffrages. Il est réélu jusqu’à sa mort en 2000, exception faite des années 1990 au cours desquelles il préfère démissionner. « De toutes les façons, nous vivions désormais au Canada et mon père ne pouvait plus assurer ses fonctions parlementaires. »
Car en 1981, la guerre prend un tournant plus personnel pour la famille Yérévanian : une bombe est retrouvée sous la voiture du père et des menaces le ciblent. Ara décide qu’il est préférable de quitter le pays. Direction le Canada où Chahé et ses deux frères, Vahé et Serge, terminent leurs études. Chahé s’inscrit à l’Université de Toronto avant, en 1990, de rejoindre l’Université américaine de Paris et de s’y spécialiser en “business management”. Ses études terminées, Chahé est recruté par la Banque arabe internationale d’investissement, une banque détenue par un consortium où l’on retrouve notamment Bank of America, UBS, ABN... Il y reste une année. « Mais mon père n’avait de pensées que pour Beyrouth. Il voulait rentrer », explique-t-il. Pour y faire quoi ? Les Établissements Ara Yérévanian ont été vendus : la famille a certes prolongé son activité immobilière au Canada, mais n’a plus de base au Liban. « Nous avons refondé les Établissements Ara Yérénavian & Fils à Beyrouth. »

Le passage à la holding

« Le Liban, c’est cela aussi : une insécurité qui forge le caractère de ses citoyens. Nous y sommes capables de réussir quelles que soient les conditions. » À leur retour au Liban, le premier projet des Yérévanian concerne un lotissement de 12 appartements à Fanar (Metn). Un autre d’une quarantaine d’appartements suit très vite dans la même région. « Nous grandissions peu à peu. » Mais la récession immobilière à la fin des années 90 touche l’entreprise de plein fouet. « C’est aussi à cette époque, en 2001, que mon père est décédé d’un cancer. J’ai pleinement repris les rênes de l’entreprise à la demande de ma famille. »
Chahé Yérévanian décide d’abord une restructuration et crée la holding Sayfco en 2004. Cette structure reprend les initiales de la Société Ara Yérévanian & Fils. « C’est un hommage indirect à mon père. Mais c’est aussi un moyen de nous éloigner du modèle de l’entreprise familiale pour aller vers une société anonyme classique. Peu de sociétés familiales survivent au passage de la troisième génération, si elles ne s’adaptent pas. » Sous l’ombrelle Sayfco sont regroupées les différentes entités du groupe : Sayfco Development, Sayfco Brokerage, Sayfco Financing, Marina Hills, Villa des Roches et Ahlam Lands.
Chahé Yérévanian a également diversifié ses projets immobiliers. Sayfco construit toujours des logements pour les classes moyennes. La holding vise cependant aussi désormais les classes sociales aisées et riches avec la construction de lotissements de luxe comme les Crystal Towers (Antélias), une tour résidentielle de plus de 100 mètres de hauteur (30 étages). Le prix de vente des logements varie de 150 000 dollars (pour un appartement de deux chambres à coucher, d’une surface de 122 m2) à 12 millions de dollars pour une villa de 2 000 m2.
Un temps, Sayfco a été tentée par des projets quasi pharaoniques : c’est ainsi qu’elle a été impliquée dans le projet de Beirut Gate, d’un montant de 1,2 milliard de dollars, gelé du fait des difficultés du bailleur de fonds, Abou Dhabi Investment House. « Nous voulions construire des tours résidentielles et commerciales au centre-ville. La crise financière internationale de 2007-2008 nous a poussé à renoncer. » D’ailleurs Chahé Yérévanian, après avoir longtemps rêvé d’une expansion dans les pays du Golfe, entend désormais rester au Liban « au moins pour les cinq prochaines années ».
 

Sayfco en bref
Fin 1950 : fondation des Établissements Ara Yérévanian.
Début 1960 : Ara Yérévanian démarre son activité immobilière.
1981 : départ au Canada.
1995 : retour à Beyrouth et reprise de l’activité.
2000 : Chahé Yérévanian est nommé PDG de l’entreprise. Son frère Serge le rejoint en 2009 comme vice-président.
2001 : décès d’Ara Yérévanian.
2004 : l’entreprise devient une holding.

Sayfco aujourd’hui…
Chiffre d’affaires : 100 millions de dollars de moyenne par an.
Fondateur : Ara Yérévanian.
Président et vice-président : Chahé et Serge Yérévanian.
Nombre d’employés : 300.
Nombre de logements construits/an : 1 000.

 

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