Un article du Dossier

Success stories libano-arméniennes

Depuis 1933, les Demirdjian sont installés à Beyrouth et dirigent Demco Steel Industrie, numéro un de l’acier au Liban avec près de 500 000 tonnes vendues annuellement et un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars en 2011. Le groupe franchit une nouvelle étape avec l’implantation de sa première usine de revalorisation des déchets d’acier à Damas.

Lamia Maria Abillama

L’homme est fin et droit comme un fil de fer. La métaphore pourrait sembler facile, puisqu’il s’agit de Sarkis Dermirdjian, président pendant 35 ans de Demco Steel Industrie, l’un des géants de l’acier au Liban et au Moyen-Orient. L’image lui va pourtant comme un gant. « Même l’étymologie de notre nom de famille nous relie à ce métal : elle provient du terme turc “demir”, qui désigne l’acier. Littéralement, il signifie « celui qui produit de l’acier », soit le ferronnier ou le forgeron. C’est mon grand-père, qui avait créé son atelier à Alep en 1922, à qui a été attribué ce nom. Il est resté ; le métier également », s’amuse Sarkis Demirdjian dans ses bureaux de Dora. Aujourd’hui, il n’exerce plus de fonction exécutive au sein de l’entreprise familiale dont il a confié les rênes à son frère Avédis et son fils Alexandre, qui en est le directeur général. Mais son influence demeure et peu de décisions ne se prennent sans son consentement.
Fondée en 1922 à Alep, Demco Steel Industrie (“Dem” est l’abréviation de Demirdjian) affiche en 2011 un chiffre d’affaires de quelque 200 millions de dollars. « Notre croissance est de 10 à 15 % en moyenne par an. » La progression de cette entreprise d’une centaine de salariés est portée par le secteur de la construction, très dynamique au Liban depuis notamment la reconstruction postguerre de 2006. « Le secteur de l’immobilier représente 60 à 70 % de notre activité. » Au total, Demco a vendu 375 000 tonnes d’acier au Liban en un an, auxquelles s’ajoutent 100 000 tonnes dans d’autres pays, en Arabie saoudite ou au Soudan notamment.
À l’instar de ses deux principaux concurrents Tannous (Société libanaise de métaux) et Yared – à eux trois ils trustent plus de 50 % de l’acier vendu au Liban –, Demco ne produit pas d’acier, mais l’importe.
« Nous importons de tous les pays possibles, selon les qualités recherchées : d’Ukraine, de Biélorussie, d’Égypte, de Turquie, notamment, des pays où l’acier est relativement bon marché. » Demco adapte ensuite l’acier aux besoins de ses clients « On coupe, on cisaille, on ajuste… notre atelier est avant tout un centre de services. » La réputation de Demco repose aussi sur son stock : 150 000 tonnes emmagasinées en permanence dans l’usine de 67 000 m2 de Dora. « Nous jonglons ainsi avec les cours de l’acier, très volatils depuis plusieurs années. En quelques années, les cours sont passés de 400 à 750-800 dollars la tonne. Nous pouvons ainsi proposer un prix souvent plancher, plus bas que nos concurrents. »
Dire que les Demirdjian ne produisent pas d’acier n’est plus tout à fait vrai depuis avril 2012. C’est à cette date que Demco Steel a ouvert une usine de valorisation des déchets d’acier, dans les faubourgs de Damas. Quelque 150 millions de dollars ont été mis sur la table. L’investissement a été réalisé en partenariat avec un autre associé libanais ainsi que deux investisseurs syriens, dont les noms ne sont pas divulgués. « Damas est un choix économique à long terme : nous avons acquis un terrain de 275 000 m2, pour un montant sans comparaison avec ce que nous pouvions trouver au Liban. La main-d’œuvre syrienne est de surcroît abondante et bon marché. Dans notre branche, c’est crucial. Mais surtout : nous ne pouvions songer à nous installer au Liban, car pour produire de l’acier, il nous faut impérativement bénéficier de courant électrique régulier. Aucun générateur ne pourrait suppléer à nos besoins. » À terme, entre 800 000 à un million de tonnes de lingot d’acier liquide devraient être fabriquées annuellement. « Nous vendons ensuite cette matière première à des entreprises qui possèdent les fours nécessaires pour la transformer ensuite en barres solides. »
Pour les Demirdjian, ce retour en Syrie ne fait que « boucler la boucle ». La famille est originaire d’Alep même. Contrairement à d’autres familles arméniennes de Turquie, ce ne sont pas des réfugiés, venus gonfler les camps de la ville syrienne entre 1914 et 1918, au moment du génocide. Pourtant, les Demirdjian ont eux aussi fait le choix de Beyrouth au tournant des années 1930 pour des raisons économiques et personnelles.

Rue de Marseille

Certes, les Demirdjian ne repartent pas de zéro quand ils s’installent à Beyrouth en 1933, une ville qu’ils jugent alors plus sûre et plus prospère. Mais l’envie de réussir est bien là. C’est Yervant Demirdjian, père de Sarkis, d’Avédis et de Hagop, qui ouvre l’antenne beyrouthine en 1933, rue de Marseille, dans le quartier du port. « La capitale libanaise “boomait” littéralement à cette époque. Mon père de surcroît avait une obsession : donner la meilleure éducation possible à ses enfants. De ce point de vue, Beyrouth était le lieu où s’installer », se souvient Sarkis Demirdjian, qui a obtenu son diplôme d’ingénieur à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). En 1947, le siège social de Demco est définitivement installé à Beyrouth ; la branche d’Alep fermera dans les années 70. À cette époque, le père et ses trois fils travaillent dans l’entreprise. Sarkis, l’aîné, et Avédis, le cadet, ont pris sa suite. En revanche, Hagop, qui a été ministre de l’Économie et du Commerce (1992-1995), puis ministre d’État aux Affaires rurales et municipales (1995-1998) sous Hariri, a quitté la société familiale. « Il ne s’agit pas d’un désaccord, mais d’une décision réfléchie : pour que l’entreprise puisse survivre, certains devaient s’en éloigner. Il ne peut y avoir qu’un chef sur un même navire. » Des règles de gouvernance que Sarkis Demirdjian applique à ses enfants : seul le plus jeune, Alex, a rejoint l’entreprise il y a 12 ans. Il en est aujourd’hui le directeur général. L’aîné, Yervant, fait carrière aux États-Unis comme directeur de la Bank Audi de New York ; quant à sa fille, Taline, elle est femme au foyer.
Sarkis Demirdjian est entré à 26 ans, dans les années 1960, dans l’entreprise familiale pour aussitôt en prendre les rênes. « À mon époque, on ne se posait pas de questions. On suivait le chemin tracé par son père. » Pendant la guerre de 1975, l’entreprise tient bon, quitte à faire appel à la fortune personnelle de la famille pour assurer le paiement des salaires des employés. « Nous n’avons pas quitté le Liban pendant la guerre. Nous avons maintenu l’ensemble de nos salariés dans leurs fonctions, même si nous avons dû fermer six mois, un an parfois. » Pour survivre, Demco démarche l’étranger, les pays du Golfe en priorité. « Je me souviens de l’un de nos plus beaux contrats : en 1986, nous avons vendu en une seule fois pour 10 millions de dollars d’acier à un promoteur de Dubaï. » À la fin de la guerre de 1975, les besoins de la reconstruction sont énormes. Demco participe ainsi à plusieurs projets de la reconstruction du centre-ville (1994), lié à Solidere dont il est d’ailleurs membre du conseil d’administration. Il est ainsi associé à la rénovation de l’Aéroport international de Beyrouth (1994), ou à celle de la Cité sportive Camille Chamoun (2000). On retrouve encore son nom au moment où l’État donne son approbation à la construction des centrales électriques de Zahrani ou de Beddaoui.
Cette réussite, les Demirdjian vont vouloir la partager. « Mon père faisait partie de ces hommes pour qui sa propre réussite ne pouvait être complète sans y associer celle de ses employés, de sa communauté et du pays qui l’avait accueilli. Je sais que cela peut paraître désuet, mais il était, pour lui, essentiel de rendre une partie de ce qui lui avait été donné. » Son père soutient ainsi la construction d’une école à Bourj Hammoud ainsi qu’une église à Bickfaya. Sarkis perdure l’action philanthropique : il aide à la construction d’une école à Los Angeles (Californie) tandis que l’ensemble de la famille décide de la création du centre Demirdjian de Bourj Hammoud.

Demco Steel en bref

1922 : fondation de l’atelier de forgeron d’Alep.

1933 : Yervant Demirdjian installe une antenne à Beyrouth.

1947 : l’activité de Demco Steel Industrie est transférée en intégralité à Beyrouth.

1958 : Sarkis Demirdjian entre dans l’entreprise familiale.

1959 : Avédis Demirdjian entre à son tour dans le groupe.

1981 : mort du fondateur Yervant Demirdjian.

1999 : Alexandre Demirdjian devient directeur général.

2000 : Avo Demirdjian rejoint l’entreprise.

2006 : Demco démarre une activité de promoteur immobilier.

2012 : ouverture de l’usine de recyclage de l’acier de Damas.

Demco Steel aujourd’hui…

Chiffre d’affaires : 200 millions de dollars en 2011.

Fondateur : Yervant Demirdjian.

Président et vice-président : Avédis et Sarkis Demirdjian.

Nombre d’employés : 100.

Tonnes d’acier vendues : 500 000 tonnes en 2011.


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