Depuis trois ans, l’immobilier d’affaires est devenu un secteur florissant, avec plus de trente immeubles de bureaux en construction dans Beyrouth municipe.
Les promoteurs ont profité d’une stagnation dans le segment résidentiel pour diversifier leurs investissements, en exploitant un créneau jusqu’ici totalement délaissé.

L’immobilier d’entreprise s’avère globalement un bon investissement pour les promoteurs, en particulier si l’emplacement est bien choisi. Les coûts de construction y sont 30 à 40 % moins élevés que dans le résidentiel, car seules les parties communes sont bâties et les finitions sont plus sommaires. « Hors prix des terrains, le coût de construction dépasse rarement 1 000 dollars le mètre carré sur le segment des bureaux », explique Hassan Attoué, responsable du marketing dans la filiale libanaise du groupe koweïtien NHG. Les parkings représentent une part importante des coûts de construction, mais la loi libanaise n’exige qu’une place de parking par unité de 40 m², ce qui réduit les contraintes légales des promoteurs. Enfin, les prix des terrains sont généralement moins élevés que dans le segment résidentiel. La plupart des nouveaux immeubles de bureaux se concentrent dans des zones peu habitées comme la Corniche el-Nahr, Adlié ou l’avenue Sami Solh à Badaro. « Dans ces régions, l’incidence foncière varie de 1 000 à 1 500 dollars le m² alors qu’elle est de 1 400 à 1 750 dollars à Achrafié et au-delà de 2 000 à 2 500 dollars le m² à Hamra et dans le secteur Charles Malek », note Guillaume Boudisseau. « Les marges de profit sont importantes dans le secteur des bureaux ces deux dernières années, car la demande est plus forte que prévu », affirme l’ingénieur et promoteur Georges Ghanem, qui construit la Bridge Tower près de Adlié.
Une demande dynamique
La nouvelle offre de bureaux neufs semble en effet avoir convaincu les acheteurs. « La demande sur les unités de bureaux est actuellement meilleure que dans le résidentiel », soutient Joumana Mouawad. « Elle n’est pas nécessairement nouvelle, mais on constate des mouvements internes : ceux qui louaient dans l’ancien investissent dans le neuf, car ils sont séduits par les nouveaux produits de qualité disponibles sur le marché. Le vide créé dans l’ancien sera à son tour comblé par d’autres sociétés », explique l’agent immobilier Christian Baz. C’est le cas par exemple dans une région comme Hamra. « Les médecins étaient forcés de louer des appartements dans de vieux immeubles d’habitation pour installer leur clinique. Ils ont tout de suite répondu présent quand nous avons lancé notre projet près de l’AUH », raconte Ali Abdel Latif, copropriétaire de l’immeuble Vision 1974, dont 54 des 58 unités ont déjà été vendues un an avant la livraison des unités. C’est majoritairement une demande locale qui tire le secteur des bureaux. Elle émane en particulier des professions libérales (docteurs, avocats), mais également de petites entreprises privées : des bureaux d’architectes ou d’ingénieurs, des sociétés d’import-export, des compagnies d’assurances, etc. Les grosses sociétés ont plutôt tendance à faire construire elles-mêmes leur siège social. Certains promoteurs, comme Georges Ghanem, et son Bridge Tower à Adlieh, ont fait le pari de vendre leur immeuble de bureaux à une seule compagnie, mais la plupart visent plutôt une multiplicité d’acheteurs, à laquelle ils proposent un large éventail de surfaces. « Il est capital de rester très flexible sur les tailles des unités. Dans notre immeuble Point A, nous proposons une demi-douzaine de surfaces différentes, de 58 à 195 m². Nous vendons les unités en espaces ouverts, ce qui permet ensuite aux clients de diviser l’espace comme ils le souhaitent », explique Joumana Mouawad. Les petites surfaces ont la cote, comme dans le résidentiel. « Un médecin n’a généralement pas besoin de 70 m² », estime Hassan Attoué, responsable du marketing dans la filiale de NHG, qui construit deux immeubles de bureaux. Le West End, qui propose des surfaces entre 230 et 365 m², et qui sera achevé dans un mois, n’a été écoulé qu’à 60 %, alors que le second projet du groupe, Le Pearl, avec des surfaces plus petites, entre 75 et 150 m², a déjà été vendu à 82 %, selon lui, bien que livré début 2014.
Les promoteurs visent également une clientèle de Libanais de l’étranger. « Environ 75 % de nos acheteurs ont fini leurs études à l’étranger, ou ont acquis une expérience professionnelle quelques années en dehors du Liban, et recherchent à acheter des unités de bureaux pour travailler et investir », affirme Sewar Sleiman, responsable du marketing d’I Group, qui construit l’immeuble Badaro 5232. Les investisseurs sont bien présents sur le marché. « Ils peuvent représenter dans certains projets jusqu’à 30 % des clients et sont parmi les premiers à acheter, pour ensuite revendre avec des plus-values ou louer à la livraison du projet », selon le promoteur Georges Ghanem. « Le taux de rendement locatif est plus intéressant pour les unités de bureaux. Il varie autour de 8 à 9 %, alors qu’il n’est que d’environ 3 % pour un appartement résidentiel », souligne pour sa part le promoteur Ali Abdel Latif. Très peu de multinationales semblent en revanche intéressées par l’achat d’unités de bureaux. « Elles prennent beaucoup de précautions avant d’investir dans ce secteur en raison de la fragilité de la situation politique », considère Hassan Attoué.
La Corniche el-Nahr, nouvelle destination d’affaires
Preuve du dynamisme de l’immobilier de bureaux, les prix du mètre carré ont légèrement augmenté – de 5 à 10 % ces deux dernières années – alors que dans le résidentiel, les tarifs sont stables, voire en baisse. Dans le contexte économique et politique actuel, ils devraient cependant rester stables ces prochains mois. Selon l’étude réalisée par Ramco, ils oscillent autour de 3 500 dollars le m² à Achrafié, notamment dans la zone de la Corniche el-Nahr, qui s’impose comme la nouvelle destination résidentielle d’affaires incontournable de Beyrouth. Elle est proche de ministères, du Palais de justice ou même de pôles hospitaliers comme l’Hôtel-Dieu ou la faculté de médecine de l’USJ. « La Corniche el-Nahr est encore une zone sous-développée qui comprend encore de nombreuses parcelles vierges », assure Guillaume Boudisseau. À Hamra, seulement deux immeubles de bureaux sont en construction, à proximité de centres hospitaliers, « ce qui tire les prix vers le haut avec une moyenne affichée de 5 000 à 5 500 dollars par m² », selon l’étude de Ramco. Dans toutes ces destinations, la majorité des unités sont proposées à la vente, et le seront éventuellement à la location en cas de stagnation des ventes, selon l’avis de différents promoteurs rencontrés lors de l’enquête du Commerce du Levant. L’exception est le centre-ville, dans lequel 75 % du nouveau stock sera mis sur le marché locatif. Pour le seul projet à la vente, le prix demandé pour un premier étage est de 7 000 dollars le m², selon Ramco.
Avec 32 projets en construction, l’écart entre l’offre et la demande pourrait rapidement être comblé, et à ce rythme, le marché pourrait se retrouver avec un surplus de stock. « Il n’est pas sûr que la demande soit durable sur le long terme. Les promoteurs doivent rester prudents. Celui qui vend bien aujourd’hui ne sera pas sûr d’écouler ses produits aussi rapidement dans deux ou trois ans », argumente Guillaume Boudisseau. « Le réservoir de demande n’est pas infini, comme dans le résidentiel. Il est indispensable pour les Libanais de posséder leur propre appartement, mais ils peuvent très bien préférer louer leurs bureaux plutôt que de les acheter. Ils considèrent le loyer comme une partie de leurs dépenses mensuelles », estime le promoteur Ali Abdel Latif. Pour Sewar Sleiman, le secteur a encore de l’avenir devant lui. « Posséder un bureau à Beyrouth restera toujours un must. Même si la situation politique se dégrade, cela reste toujours un investissement intéressant. Si nous achetons un futur terrain avec un bon emplacement dans la capitale, nous opterons très probablement pour un immeuble de bureaux et non pour des appartements résidentiels. »
