La décharge de Bourj Hammoud arrivera à saturation d'ici à décembre 2017
La décharge de Bourj Hammoud arrivera à saturation d'ici à décembre 2017

A écouter Jamal Itani, le président du conseil municipal, présenter son plan de gestion des déchets, on pourrait croire que Beyrouth, d’un seul coup, se prend pour San Francisco, la ville californienne en passe d’atteindre son objectif de « zero waste », une formule qui signifie à la fois zéro déchets incinérés ou mis en décharge, et zéro gâchis.  

La capitale libanaise va accueillir début 2018 une nouvelle société pour la collecte, le balayage et le transport des 700 tonnes de déchets générés quotidiennement : Ramco Trading and Contracting, qui a remporté il y a quelques semaines l’appel d’offres pour 70,8 millions de dollars sur 5 ans (renouvelables deux ans).

Avec à la clef de jolies promesses de changement : l’opérateur qui remplace Sukleen promet ainsi de nouvelles poubelles de tri sélectif dans les immeubles (et non plus seulement des bennes dans les quartiers) pour mieux recycler, des camions ecofriendly pour limiter la pollution atmosphérique, un meilleur retraitement industriel voire même une révolution dernier cri : des conteneurs enterrés pour la collecte des déchets, comme peu de villes occidentales encore en ont…

Mais la comparaison avec San Francisco s’arrête là. Car, pour la ville de Beyrouth, la réalité aujourd’hui se veut davantage un « 100 % waste » ou presque. A ce jour, 90 % des déchets produits dans la capitale (et sa banlieue) finissent en décharge.

Cela va-t-il changer avec ce plan ? On peut en douter. Contrairement aux autorités de San Francisco, l’édile libanais ne s’est fixé aucun objectif à atteindre en matière de recyclage ou de compostage. A San Francisco, la ville revalorise 90 % de ses déchets. Elle entend d’ailleurs atteindre les 100 % en 2020. Pour parvenir à un tel résultat, la seconde plus grande ville américaine a mis en place un système d’incitations fiscales sur le principe de «pollueurs, payeurs». Or, à Beyrouth aucune contrainte de ce type n’est à l’ordre du jour pour les habitants ou les entreprises. Ces derniers seront simplement appelés à trier leurs déchets. « Nous voulons y aller étape par étape. Il y a un effort énorme à faire en ce qui concerne l’éducation de nos concitoyens sur ce sujet », souligne Jamal Itani.

Du coup, l’ancien PDG du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) s’est contenté de présenter les propositions figurant dans le contrat de Ramco. Même les actions de sensibilisation prévues - dont les détails ne sont encore une fois pas connus - incombent au nouvel l’opérateur ! Tout au plus, Jamal Itani a-t-il annoncé la constitution d’un comité de suivi au sein de la municipalité pour s’assurer du respect du contrat.

Crise sanitaire en 2018

Pourtant, Beyrouth vit sur une poudrière : les deux décharges, qui servent aujourd’hui à enfouir les déchets de la capitale et du Mont Liban fonctionnent en surrégime. A Bourj Hammoud-Jdeidé, la société Khoury Contracting, qui a remporté la gestion de la décharge pour quelque 110 millions de dollars sur quatre ans en 2016, reçoit 30 % de déchets en plus – soit 1500 tonnes par jour - que ce que stipulait son contrat initiale. Même son de cloche du côté du Costa Brava, gérée, cette fois, par Aljihad for Commerce & Contracting de Jihad al-Arab (60 millions de dollars sur quatre ans).

Pensées pour tenir jusqu’en 2020, ces deux unités ont d’ores et déjà une durée de vie réduite de moitié. Selon différents experts, une nouvelle crise sanitaire est inévitable d’ici à un an.   

Pourtant, des études montrent que la valorisation des déchets est facile au Liban : les déchets libanais sont essentiellement composés de restes de nourriture, des matières organiques qui pourraient aisément servir à faire un compost très riche, comme celui que les agriculteurs s’arrachent à San Francisco.

Mais pour cela, il faut non seulement que les poubelles soit triées en amont mais aussi traitées.  

Or, aujourd’hui, l’usine Coral, dont la gestion a été attribuée à Jihad al-Arab Contracting (JCC) en 2016, et qui est censé produire 750 tonnes par jour de compost (contre 350 du temps de Sukomi), est fermée pour «modernisation» sans qu’une date ne soit connue quant à sa réouverture.

Face à l’urgence, le flou du programme de la municipalité de Beyrouth, qui s’est contenté de présenter les obligations de l’entreprise vainqueur de l’appel d’offres, Ramco, semble difficilement admissible. Présent lors de la conférence, André Sleiman du mouvement Beirut Madinati n’a d’ailleurs pas manqué de dénoncer l’opacité d’un système qui se contente d’effet d’annonces sans évoquer les investissements nécessaires. Si les objectifs et les moyens de réduction de la mise en décharge sont absents du débat c'est peut-être parceque la municipalité pense avoir trouvé la solution miracle : le Waste to Energy, une méthode d’incinération des déchets qui permet de générer en même temps de l’énergie. 

Waste to energy 

Le sujet n'a été que vaguement évoqué lors de la conférence de presse, alors qu'un appel d'offre a déjà été lancé. « Il n’y a pas d’autres solutions pour un tissu urbain comme le nôtre», a déclaré au Commerce du Levant, Jamal Itani, en référence à la difficulté de créer de nouvelles décharges sanitaires autour ou dans Beyrouth, en raison de l’opposition des populations. 

L’objectif, si on en croit un rapport de l’UNDP (2016), qui a mené une étude pour l’implantation du Waste to energy au Liban, est de réduire de 85 % le volume des déchets envoyés en décharge tout en produisant 48,5 MW d’électricité. Mais des experts environnementalistes, comme Elias Azzi, ingénieur, chercheur en sciences environnementales à l’Institut royal de technologie (KTH) de Suède, contestent ce choix. L’expert affirme que la production d’électricité sera minime dans le contexte libanais du fait d’une matière très organique et très humide. «Il faudrait un traitement spécifique au préalable. Du point de vue de la production énergétique, le processus ne sera pas rentable. L’objectif est donc surtout de réduire la mise en décharge, mais pas tout de suite puisque l’usine ne verra pas le jour avant cinq ans. Or, la crise est juste devant nous : si rien n’est fait, les poubelles seront à nouveau dans les rues dès 2018.»

Les entreprises en lice pour la revalorisation énergétique

Sept entreprises libanaises, en joint-venture avec des sociétés étrangères, ont présenté des offres techniques, étudiées en ce moment par la ville. Parmi elles, on retrouve des figures comme JCC (Jihad al-arab) en partenariat avec la société française CNIM, un groupe industriel français ; MAN (Michel Abi Nader) en association avec Urbaser, un autre groupe français, spécialisé dans la construction et l'exploitation de centre de valorisation des ordures ménagères ; Hamoud contracting (Kassem Hammoud) avec Babcock Wanson, un fabricant de chaudières industrielles et d’incinérateurs, basé au Danemark ; Ramco Trading and Contracting (Wassim Ammouche) en joint-venture avec la société turc Atlas ; Batco (Antoine Azour) et Butec (Nizar Younes) avec LEAD, une société spécialisée dans le secteur du pétrole ; Hicon (Imad al-Khatib), candidat malheureux à l’appel d’offres pour la décharge de Bourj Hammoud avec deux entreprises chinoises ; Hussein Ali Saleh al-Moussawi avec Sepco3, une société chinoise. La « short List » des candidats habilités à présenter leur offre financière n’a pas été communiquée. Récemment, des fuites dans la presse ont indiqué que la ville de Beyrouth envisageait d’installer de futur incinérateur au cœur de la Quarantaine, sur un terrain détenu par l’Etat et la ville dans la proximité des abattoirs. L’information a ensuite été démentie par la municipalité.