Les autorités sanitaires libanaises multiplient les efforts pour faire face à l’épidémie de coronavirus. Si la propagation semble jusqu’alors maîtrisée, son évolution reste incertaine. D’autant que le secteur de la santé est impacté depuis des mois par la crise économique.

Un  Libanais à l'entrée des urgences de l'hôpital Rafic Hariri
Un Libanais à l'entrée des urgences de l'hôpital Rafic Hariri crédt : REUTERS/Mohamed Azakir

Alors que l’épidémie de coronavirus a atteint le stade 2 et continue de se propager au Liban, avec 93 cas* de Covid-19 recensés à ce jour, les autorités multiplient les mesures de confinement. Apres avoir fermé les écoles et les universités, le gouvernement a demandé aux bars, aux restaurants ou aux discothèques de baisser le rideau, suivis par les musées, les centres commerciaux et les grandes salles de sports.

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Le pays a également fini par réduire le trafic aérien, même si la mesure semble tardive. «C’était la première chose à faire pour limiter la contagion. Maintenant cela ne sert quasiment à rien», critique l’épidémiologiste Salim Adib de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), en se montrant toutefois rassurant sur l’évolution de la situation. «Les gens ont arrêté d’interagir, ce qui n’était pas le cas dans les premières semaines d’apparition du virus. Cela réduit les risques de propagation», ajoute-t-il. L’enjeu est de taille : il s’agit d’éviter à tout prix un pic épidémique qui pourrait mettre en péril le système de santé libanais.

Une prise en charge effective

Pour le moment, la prise en charge des malades est opérationnelle. Un accord passé entre les autorités sanitaires et la Croix-Rouge permet d’effectuer les transferts à l’hôpital des personnes suspectées d’être porteuses du coronavirus. «Nous avons mis à disposition 19 centres de la Croix Rouge et formé 300 secouristes pour pouvoir effectuer les transferts», indique le docteur Antoine Zoghbi, président de la branche libanaise de l’ONG.

Au total, ses équipes ont effectué une centaine de transferts vers l’hôpital gouvernemental Hariri, vers qui, pour l’heure, tous les patients atteints, même légers,  ont été renvoyés.

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Celui-ci, bien que sous pression, n’est pas encore saturé. «Pour le moment, nous nous en sortons, nous pouvons encore accueillir des malades et nous avons encore des stocks de matériel médical et de médicaments», déclare le docteur Mahmoud Hassoun, chef de l’unité « corona » à Rafic Hariri.

L’hôpital augmente d’ailleurs sa capacité à prendre en charge les cas graves. «De quatre lits avec assistance respiratoire, nous passons à douze», déclare le médecin.

Mais l’augmentation rapide du nombre de malade - leur nombre augmente de 30 % en moyenne tous les jours - semble a priori inévitable.

Selon des chiffres communément admis, environ 10 % des personnes atteintes par le corona développent une forme requérant une hospitalisation même si « seules 5 % d’entre elles nécessitent une aide respiratoire », toujours selon Salim Adib de l’AUB.

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Rapportés à l’ensemble de la population, les chiffres font froid dans le dos. Si l’on se base sur les statistiques issues de l’étude épidémiologique de la Chine, le taux de contamination peut aller de 25 à 70 % de la population. Avec environ 5 millions d’habitants, le Liban risque de se retrouver avec 1,2 à 3,5 millions de personnes infectées. Si 25% de la population est contaminée, 62 000 individus pourraient avoir besoin d’être placées sous assistance respiratoire selon l'hypothèse basse et 175 000 selon l’hypothèse haute (70 %). Le pays pourrait enregistrer une surmortalité comprise entre 6 250 et 70 000 personnes.

Mais pour l’épidémiologiste Salim Adib ces calculs ne sont pas pertinents. « Nous ne sommes ni la Chine, ni l’Iran, ni l’Italie. Notre population est jeune et possède une bonne immunité ». En effet, d’après des chiffres de l’ONU datant de 2018, 12,3% de la population au Liban a plus de 60 ans. Or, 80 % des décès recensés à ce jour dans le monde se situent dans cette tranche d’âge. Autre argument rassurant : la qualité des services hospitaliers libanais, qui rivalise avec celle des pays européens comme le Portugal ou l’Estonie, si on en croit le journal médical The Lancet.

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Encore faut-il que le secteur  se remette en ordre de marche. Avec 12 000 lits disponibles en tout sur l'ensemble du territoire, le secteur pourrait mettre à disposition quelque 500 lits avec des équipements respiratoires, selon le chef de la commission santé et député du courant du Future, Issam Araji. Cependant, selon différents témoignages, les trois-quarts de ce matériel ne seraient pas disponibles ou nécessiteraient une remise en état.

Le Conseil des ministres a approuvé mardi dernier un financement de 40 millions de dollars octroyé par la Banque mondiale aux hôpitaux gouvernementaux dans le cadre du projet du «Health resilience project». Le but : soutenir les hôpitaux déjà mobilisés pour lutter contre le Covid-19 dans l’achat de matériel, et équiper neuf nouveaux établissement publics dans les régions.

Deux centres médicaux gouvernementaux pourraient également être adaptés pour servir de back-up, toujours selon Issam Araji. À l’heure actuelle, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visite ces établissements pour déterminer s’ils seront - ou non - en mesure de recevoir et de traiter des malades du Coronavirus.

Les hôpitaux privés

En parallèle, le gouvernement a demandé aux hôpitaux privés, qui représentent 82% de l’offre hospitalière au Liban, de se préparer. À l’Hôtel-Dieu de France, un centre de traitement devrait être opérationnel dans les jours à venir. «Il faut que les flux de malades suspectés d’être porteurs du corona et les autres arrivent dans des lieux bien distincts», insiste Martine Orio, directrice générale de l’hôpital pour expliquer le délai pris dans la mise en place de cette unité spéciale.

Une fois ouverte, celle-ci qui pourrait réaliser entre 30 et 40 consultations par jour. Pour les cas présentant des complications, cinq lits sont disponibles aujourd’hui en isolement mais «d’autres pourront ensuite être mis à disposition». À ce moment, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les malades légers - 80 % des cas - seront renvoyés chez eux en quarantaine. Seuls ceux nécessitant des soins lourds seront pris en charge.

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Le Libanaise American University Medical Center – Rizk Hospital (LAUMC-RH) a lancé les mêmes préparatifs. «On est en train de mettre en place un centre aux urgences pour séparer les malades», détaille le docteur Jacques Mokhbat , en charge du service infectieux de LAUMC-RH. Pour les cas requérant une hospitalisation, dix-sept lits pourraient être mis à la disposition des malades graves du Covid-19.

Mais pour le moment, il s’agit d’une solution de dernier recours. «Nous travaillons main dans la main avec l’hôpital public de Bouar, dans la région de Jounié, en aidant à former leur personnel. Si cet hôpital est déclaré apte à recevoir des malades du corona, les cas que nous recevrons y seront transférés. Cette solution nous semble préférable car notre taux d’occupation est déjà élevé. Libérer un étage pour le corona, cela fait beaucoup, mais nous le ferons si la situation le nécessite», explique le directeur général de l’hôpital, Sami Rizk.

Les appréhensions persistent

Partout, dans le pays, les équipes multiplient les réunions de crise pour se préparer à un fort afflux de patients dans leurs services. Pour autant, de larges appréhensions persistent, notamment en raison de la durée d’hospitalisation pour les cas les plus graves. «Notre inquiétude se porte surtout pour les personnes nécessitant une assistance respiratoire, appuie Docteur Mahmoud Hassoun de l’hôpital Rafic Hariri. En moyenne, dans le cas du corona, il faut compter deux semaines d’hospitalisation [contre quelques jours pour une pneumonie, par exemple, NDLR] ce qui signifie qu’une fois que nous aurons rempli nos douze lits équipés, nous ne pourrons plus accueillir de patients dans un état critique pendant deux semaines. Alors, quand les hôpitaux privés seront prêts, nous serons évidemment soulagés.»

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Les responsables hospitaliers s’inquiètent également du risque de manque de matériel. «On a peur de voir nos stocks de masques et de gants baisser», concède Martine Orio de l’Hôpital-Dieu de France. Les équipements de protection ne sont pas produits au Liban. Avec la crise économique, les importer s’avère très difficile. Si les distributeurs locaux ont obtenu fin 2019 que leurs besoins soient régis par le même mécanisme de subvention que celui qui s’applique désormais aux médicaments, au blé et à l’essence (mais à hauteur de 85 % des montants engagés), sa mise en application pose toujours problème. «Dans la pratique, l’étude des dossiers par les banques commerciales et la banque centrale prend du temps. On accumule les arriérés de paiement envers nos fournisseurs. Pire encore : depuis l’annonce du non-remboursement des eurobonds par le Premier ministre, les fournisseurs étrangers nous demandent de leur payer l’intégralité des factures à l’avance. C’est impossible pour nous», déplore Rony Abdelhay, qui dirige l’entreprise Promedic, spécialisée dans l’importation de matériel médical.

La Banque du Liban a exhorté vendredi les banques a accélérer les procédures, mais entre temps, les stocks s’amenuisent. «Normalement, le Liban dépense près de 15 millions de dollars en six mois rien que pour les protections jetables utilisées dans les hôpitaux. Depuis le mois d’octobre, nous n’avons pu débourser que quatre millions de dollars pour ces produits», alerte l’importateur.

Dans ce contexte, Martine Orio de l’Hôtel-Dieu rappelle l’importance de limiter « les mouvements de panique qui aggravent la situation : les gens se ruent sur les masques alors que ceux-ci ne sont utiles que pour le personnel en contact avec les malades ou les malades eux-mêmes. Une personne non-porteuse du virus n’a aucune raison de porter un masque», insiste la directrice.

Une facture lourde

La Croix-Rouge libanaise, dont les stocks de protection sont fournis au titre de l’aide humanitaire par les autres antennes de l’ONG, s’inquiète également. Pour chaque intervention, le coût total des protections des trois secouristes mobilisés s’élève à 1800 dollars. «On pense à réduire le nombre de brancardiers par intervention pour limiter les dépenses», reconnaît le président.

Mais la question financière ne se pose pas qu’à ce niveau. Le coût d’une journée d’hospitalisation, dans les cas où l’usage d’un appareil respiratoire est nécessaire, avoisine en effet les 1000 dollars. A raison de deux semaines par personne, l’ardoise pourrait se chiffrer en milliards de dollars pour un Etat déjà étranglé financièrement.

Comment le ministère de la Santé, dont le budget a été rogné de 7% cette année, et qui est sensé prendre en charge ceux qui n’ont aucune couverture maladie - soit près de la moitié de la population - paiera-t-il les frais d’hospitalisation? D’autant que l’Etat doit déjà 1,3 milliard de dollars - au taux de change officiel- au secteur hospitalier privé.

Pour le directeur du LAUMC-RH, la question financière doit être relayée au second plan. «On traite les malades d’abord, ensuite on verra», conclut Sami Rizk.


* selon le dernier bilan publié par le ministère de la santé le 14 mars à 11h30