Avec la dévaluation de la livre, le voyage est devenu « un luxe » que de nombreux Libanais ne peuvent plus s’offrir, déplore le président du syndicat.

Seuls 2 à 3% des Libanais peuvent se permettre de voyager selon le syndicat des voyagistes.
Seuls 2 à 3% des Libanais peuvent se permettre de voyager selon le syndicat des voyagistes.

Les anglophones appellent une combinaison catastrophique de facteurs rares un « orage parfait ». C’est ce à quoi font face les agences de voyages libanaises, étranglées par la crise mondiale de la pandémie du Covid-19 et par la crise économique au Liban.

« C’est simple, la double crise a anéanti la demande. Nos ventes sont en baisse de près de 90 % », déplore le président du syndicat des propriétaires des agences de voyages, Jean Abboud. En 2019, le chiffre d’affaires du secteur était de 750 millions de dollars, soit 21 millions par mois en moyenne. Depuis le début de l’année, la moyenne mensuelle n’a pas dépassé trois millions de dollars. En juin, par exemple, les ventes ont totalisé à peine 200 000 dollars. Une descente aux enfers qui pèse lourdement sur l’emploi, avec des effectifs divisés par six, passant de 6 000 employés avec la crise à moins d’un millier actuellement. « Ceux qui restent ne sont souvent payés qu’à moitié », déplore le président du syndicat. Le nombre d’agences de voyages accréditées par l’Association internationale du transport aérien (IATA), lui, est passé de 213 à 168 en moins d’un an.

 « Le voyage est devenu un luxe pour les Libanais. Avant la crise, ils étaient nombreux à partir en vacances à l’étranger. Les étudiants, par exemple, pouvaient partir en empruntant quelques centaines de dollars à la banque. Aujourd’hui, le marché est très restreint, nous ne ciblons que 2 à 3 % de la population », ajoute-t-il.

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Sur le papier, le prix des billets d’avion, libellé en dollars, n’a pas bougé. Mais dans les faits, les agences naviguent entre les différents taux de change pour répondre aux exigences des compagnies aériennes internationales qui, elles, réclament des « dollars frais », comme il est désormais coutume de les appeler. « L’IATA joue le rôle d’intermédiaire entre les agences de voyages et les transporteurs aériens, explique le président du syndicat. Tous les 15 jours, les agences transfèrent les montants payés par leurs clients sur le compte de l’organisation au Liban qui paye, à son tour, les compagnies aériennes. Mais celles-ci n’arrivent plus à sortir les fonds du fait des restrictions bancaires imposées sur les “dollars libanais” », explique Jean Abboud, qui a plaidé sa cause auprès de la Banque du Liban, accompagné d’une délégation de l’IATA, sans succès. Les billets d’avion ont été inclus à un moment parmi les motifs pouvant justifier l’octroi de dollars chez les changeurs officiels au taux intermédiaire de 3 950 livres pour un dollar, mais avec les réserves du pays en devises qui fondent à vue d’œil, la décision a été annulée il y a deux mois.

Désormais, la plupart des transporteurs exigent d’être payés par les agences de voyages en « vrais dollars » et privilégient les ventes directes, sur leurs plates-formes en ligne ou dans leurs bureaux de ventes.

Ventes directes

Les compagnies aériennes « migrent progressivement vers un modèle d’interaction directe avec le client, excluant les agences », s’inquiète Jean Abboud, en mettant en garde contre la disparition du secteur.

« De grandes compagnies, comme Turkish Airlines ou Emirates, encouragent les clients à réserver leurs billets en ligne avec des cartes de crédit internationales en leur proposant des prix bonifiés. Air France va même jusqu’à proposer aux clients de payer en dollars à travers OMT », s’indigne un agent de voyages, ayant requis l’anonymat.  

La compagnie française se défend en affirmant avoir offert cette option à ceux qui achètent en ligne ou qui passent par son centre d’appel afin de « faciliter l’achat pour nos clients ». Dans son bureau de ventes à Beyrouth, les paiements en livres sont acceptés, au taux du marché noir. Il s’agit d’un « processus en cours dans lequel les agences de voyages jouent un rôle important », affirme la compagnie.

Pour sa part, le transporteur national, Middle East Airlines, fait partie des rares compagnies avec Lufthansa ou Etihad Airlines, qui acceptent encore que les agences les paient « en dollars libanais ».

« Les voyagistes locaux sont nos partenaires les plus solides. Nous ne les laisserons pas tomber », affirme Marwan Haber, responsable des ventes à la Middle East Airlines (MEA). « Nous acceptons les transferts en dollars libanais pour les voyages au départ de Beyrouth, qui représentent 90 % des ventes en cette période difficile », ajoute-t-il.

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Cela permet aux agences de voyages de vendre des billets relativement abordables, au taux de 3 950 livres libanaises le dollar plutôt que celui du marché noir, à plus de 7 500 livres.

« Concrètement, nous encaissons l’argent en livres puis nous achetons des chèques bancaires en dollars sur le marché noir afin de transférer l’argent au compte de la compagnie », témoigne un agent de voyages sous couvert d’anonymat. «Comme tout le monde dans le pays, nous sommes contraints d’avoir recours à ces acrobaties pour continuer à vendre, ajoute-t-il. En revanche, si le client veut emprunter une des compagnies aériennes qui nous réclament un paiement en devises, nous appliquons le taux de change du marché noir. »

Cela donne souvent lieu à des offres multiples.

« Le prix du voyage peut être divisé en plusieurs parties. Nous acceptons par exemple les livres libanaises pour couvrir les frais d’hôtel, au taux de change du marché noir bien entendu. Le billet d’avion, lui, peut être réglé avec un chèque libellé en dollars, mais le prix est multiplié par trois par rapport au prix affiché, sauf s’il s’agit d’une compagnie aérienne qui accepte les paiements en dollars locaux, ce qui devient de plus en plus rare», conclut-il.