En l’espace de quelques mois, l’ancienne vitrine du commerce de luxe de la capitale et la principale adresse d’affaires du centre-ville est devenue un quartier fantôme.

D.R.

Depuis la double explosion au port, le secteur Foch Allenby dans le centre-ville vit au rythme des réparations. Le souffle de la déflagration a sérieusement endommagé le quartier, où toutes les vitrines, les boiseries des fenêtres et tous les faux plafonds doivent être changés. À ce jour, seule une poignée de boutiques et de bureaux ont repris leurs locaux et leur activité.

Le 4 août 2020 a été le drame de trop pour ce quartier d’affaires, déjà affecté par les manifestations populaires qui ont débuté le 17 octobre 2019. Si, dans un premier temps, elles étaient centralisées autour des places Riad el-Solh et des Martyrs, le mouvement s’est déplacé en 2020 vers le Parlement, à quelques mètres de la rue Weygand, où ont eu lieu de graves affrontements. Plusieurs boutiques ont été saccagées et de nombreuses façades d’immeuble ont été dégradées.

En toute logique, la demande tant pour les bureaux que pour les magasins s’est effondrée.

« Je n’ai aucune demande pour la location de bureaux. Et c’est encore pire pour les boutiques. Sur une dizaine d’emplacements dans le secteur, je n’ai qu’un seul locataire. Tous les autres ont fermé. L’été dernier, je négociais encore avec une franchise française de luxe. Depuis octobre 2019, tout est stoppé », témoigne un avocat qui gère plusieurs immeubles entre les rues Foch et Allenby.

L’exode des boutiques remonte à plusieurs mois, des signes avant-coureurs annonçant déjà une crise latente. Les événements et les drames de 2020 n’ont fait qu’aggraver la situation.

« Le quartier est dédié aux commerces de luxe et aux franchises internationales. Dans le contexte actuel, on ne peut s’étonner que les enseignes ferment les unes après les autres », déplore Walid Moussa, président du syndicat des agents immobiliers au Liban (REAL) et de l’agence immobilière PBM.

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Un avenir en pointillé

L’avenir de Foch Allenby en tant qu’adresse du luxe est en pointillé, même si une lueur d’espoir est venue du groupe TSG qui a confirmé, selon le site www.businessnews.com.lb, que les boutiques Aïshti et quelques-unes de ses franchises comme Fendi allaient prochainement se réinstaller dans le quartier.

Mais ces quelques réouvertures ne vont pas combler le taux de vacance, sachant que plus d’une cinquantaine de locaux sont vides et disponibles à la location. Une morosité qui contraste avec l’appétit des investisseurs pour l’achat entre novembre 2019 et le printemps 2020.

Dans la logique de retirer leur épargne des banques locales, plusieurs particuliers avaient en effet misé sur des biens dans le secteur qui étaient à la vente depuis plusieurs années.

Selon Ramco Real Estate Advisers, plusieurs immeubles de bureaux ont été achetés à cette période. Par exemple, la société Averda a vendu son bien rue Moutran et Solidere a également cédé plusieurs de ses immeubles.

La majorité des transactions a concerné des immeubles datant des années 1930-1940, rénovés il y a vingt ans environ : 1 000 m2 de bureaux avec un rez-de-chaussée commercial d’environ 200 m2. Une autre propriété de plus de 2 000 m2 de bureaux avec des places de parking a également été vendue à plus de 20 millions de dollars.

Mais depuis les manifestations du printemps et le drame du 4 août 2020, la situation a changé.

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La location en baisse avant le 17 octobre 2019

L’évolution des loyers a été affectée par la baisse de la demande, mais cette tendance était déjà effective bien avant octobre 2019. Ainsi, la moyenne des loyers des bureaux est passée de 260-275 dollars par m2 par an en 2018 à 225-250 dollars par m2 en 2019. Désormais, les loyers tournent autour de la barre des 200 dollars le m2 (payables par chèque bancaire).

« À mon avis, les loyers des bureaux vont baisser de 30 à 40 % par rapport à 2019 », prévoit Walid Moussa.

Par exemple, un bureau de 200 m2 avec une terrasse de 110 m2 est proposé aujourd’hui à 50 000 dollars annuellement. Après pondération, cela donnerait 211 dollars le m2 (chèque bancaire). Ce même bien était loué auparavant à 75 000 dollars par an.

« Afficher un loyer attractif est le seul moyen pour attirer des locataires potentiels, alors que certains veulent quitter le quartier », explique un propriétaire qui a perdu cinq locataires depuis 2019.

Pour les personnes pouvant payer en cash, les prix sont encore plus intéressants. Un bureau de 200 m2 est proposé à 1 000 dollars en liquide par mois, ce qui équivaut à 60 dollars par m2.

Les prix pour les loyers commerciaux sont également en pleine crise. « Je ne sais même plus quel loyer demander », confesse un propriétaire qui a requis l’anonymat. « La situation des loyers des boutiques est catastrophique. Qui va louer aujourd’hui un local ? À quel prix ? » déplore Walid Moussa.