La plateforme Gherbal a publié une liste, non-exhaustive, des biens fonds détenus par des chefs de partis, ministres ou des députés libanais qui aboutit à une moyenne de 27 propriétés par politicien. Si la base de données est encore parcellaire, elle donne un aperçu de l’importance de la propriété dans le système libanais. 

À lui seul, Walid Joumblatt détient plus de 500 biens fonciers.
À lui seul, Walid Joumblatt détient plus de 500 biens fonciers. Omar Bsat.

Soixante six hommes politiques libanais détiennent 1792 biens-fonds, soit 27 propriétés en moyenne par politicien. C’est ce que révèle les demandes effectuées auprès du registre foncier par l’initiative Gherbal, une plate-forme qui promeut la liberté d’accès à l’information, et les journalistes d’investigation de l’émission «Yaskout hekm el-fassed», sur al-Jadeed. Dans le cadre de ce partenariat, Gherbal a publié les résultats de ces recherches sur les principaux chefs de partis, et principales figures du Courant du futur et du Mouvement Amal, en promettant d’étoffer la base de données toutes les deux semaines, pour englober tous les grands partis.

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C'est le nombre moyen de biens-fonds que possède un politicien au Liban

Les données recueillies jusque-là placent le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, en tête du podium, avec 505 biens-fonds à son nom, majoritairement dans le Chouf. Il est suivi par le député de Tripoli, Mohamad Kabbara, affilié au courant du futur, avec 221 biens fonciers, principalement au Liban Nord. Enfin, Yassine Jaber, député Amal de Nabatié, clôt le podium avec ses 186 propriétés réparties entre le Sud et Beyrouth.

Les documents obtenus du registre foncier se contentent d’indiquer le nombre de bien-fonds détenus, et la région où ils se situent, sans révéler leur nature, s’il s’agit d’un appartement ou d’un terrain, ni leur superficie. Leur nombre en dit toutefois long sur l’importance de la propriété immobilière pour les hommes politiques. «Le fait que la classe politique possède autant de biens immobiliers et terriens est révélateur de tout ce qui ne va pas au Liban», commente le directeur de l’Institut de sciences politiques à l’Université saint-joseph, Karim Bitar. «Il s’agit d’abord d’un réflexe que la classe politique a adopté: imiter les dirigeants du Liban féodal historique. Jusqu’à aujourd’hui, la possession de vaste biens immobiliers est symbole de puissance dans l’inconscient collectif, et contribue donc à la production d’une influence politique», poursuit-il.

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La propriété foncière permet aussi aux dirigeants politiques d’empêcher le mélange communautaire afin de préserver le système confessionnel. «C’est très important pour l’élite politique de maintenir l’homogénéité confessionnelle des régions qu’elle dirige. Posséder une pléthore de biens fonds leur permet d’empêcher la migration d’autres communautés. C’est le cas par exemple de Walid Joumblatt, qui s’inquiète ouvertement d’une possible migration chiite vers son fief, le Chouf», affirme Karim Bitar.

Le fait que les politiciens investissent autant d’argent dans l’immobilier est également un résultat de l’économie de rente qui caractérisait le Liban. «L’immobilier était une source de revenus facile dans notre économie très financiarisée. Plutôt que d’investir dans les secteurs productifs, la classe politique mobilise son capital dans la spéculation immobilière», regrette Karim Bitar.

Corruption

Les révélations de Gherbal illustrent-elles aussi l’étendue de la corruption qui mine le Liban? «Il revient à la justice de déterminer si les biens ont été acquis légalement ou de manière illicite», répond Assaad Zebian, cofondateur de Gherbal. «Notre objectif, c’est donner au public l’accès à l’information et promouvoir la transparence», ajoute le militant.

Si les élus au Liban sont légalement obligés de déclarer leurs avoirs, cette déclaration reste en effet confidentielle et ne peut être consulté qu’en cas de poursuite judiciaire. À cet égard, «la loi sur l’enrichissement illicite votée il y a quelques mois est un pas dans la bonne direction, puisque la déclaration de patrimoine pourra être consultée par la commission nationale de lutte contre la corruption. Mais encore faut-il qu’elle soit formée», soupire Julien Courson, qui dirige l’ONG Transparency international.

D’autant que les données publiées par Gherbal pourraient n’être que la partie immergée de l’iceberg. «Ces chiffres pourraient être sous-estimés sachant que d’autres propriétés pourraient avoir été enregistrées au nom d’un proche, d’une fondation ou d’une entreprise écran…», souligne Assaad Zebian.