Un article du Dossier

État des lieux de la presse libanaise

Quelque 35 % des personnes interrogées lisent les nouvelles en ligne : c’est le résultat d’un sondage réalisé au Liban en 2009 par la société de conseil Value Partners et la compagnie média Zenith Optimedia. Onze pour cent préfèrent même la version en ligne à la version papier, bien que celle-ci demeure la principale source d’information du pays, avec 46 % des sondés affirmant l’utiliser.

Il n’est donc pas étonnant que les sites Internet dédiés à l’information prolifèrent : le ministre de l’Information fait état de 52 sites. Patrick Bassil, directeur de Tayyar.org – le site d’information du parti du CPL (Courant patriotique libre) –, situe le déclenchement de l’engouement du marché libanais pour les nouvelles sur le Net à l’assassinat du Premier ministre Hariri en 2005. « À chaque événement majeur, un nouveau palier d’audience est franchi », affirme-t-il. La guerre de juillet 2006 a, par exemple, assuré une large audience libanaise et expatriée au Tayyar, grâce à sa couverture des événements. Tayyar reste jusqu’à aujourd’hui le premier site d’information libanais, avec 65 000 visiteurs uniques et 500 000 pages lues par jour en moyenne, selon Google Analytics.

Les sites des partis politiques en bonne position

Il n’est pas anodin que le premier site d’information libanais soit le site d’un parti politique. Cela reflète d’une part le mode de consommation des informations au Liban où la sélection des journaux se fait d’abord en fonction de l’affiliation politique des lecteurs. D’autre part, cela montre la difficulté des autres acteurs à percer sur le Net, leurs moyens financiers étant plus réduits que ceux des partis. Ces derniers ont en effet su (et pu) s’adapter pour répondre à la demande de leurs lecteurs sur le Net : information en continu, volontaires sur le terrain, reprises de nouvelles, alertes des abonnés par SMS… que ce soit tayyar.org, lebanese-forces.org, ou kataeb.org, ils ont tous investi dans leur présence sur le Net. Résultat des courses : les deux premiers se taillent la part du lion en ce qui concerne la consommation de nouvelles sur le Net. Et le troisième fait partie des 60 premiers sites libanais, selon le site d’information statistique sur le web Alexa.com.

Les journaux ne sont pas en reste, qui ont pratiquement tous misé sur la version en ligne de leur édition papier. Alakhbar.com, naharnet.com, annahar.com, assafir.com sont les sites de presse les plus consultés sur le Net, selon Alexa. L’orientlejour.com et le dailystar.com.lb ressortent également, et sont lus à plus de 60 % par la communauté expatriée. « Les journaux se contentent de mettre leurs archives en ligne, ce n’est pas suffisant », constate cependant Jamale Rassi, de AdLine, qui déplore l’absence de stratégie web des journaux. Le Net requiert en effet de l’information en continu, des articles plus courts que la version papier, davantage d’images, de vidéos, que peu de sites de journaux sont à même de fournir. « Le Net et le papier sont deux métiers différents, qui doivent être traités par deux équipes différentes », commente une experte de la Toile. Encore faut-il que les journaux en en aient les moyens, ce qui, au vu des finances de la presse libanaise aujourd’hui, est assez improbable.

Une troisième catégorie d’acteurs des nouvelles en ligne se développe sur la Toile : les “pure players”, ces compagnies créées et pensées pour le web sur le web : iloubnan.info, nowlebanon.com, lebanonfiles.com, elnashra.com, … Leurs sites Internet sont en principe plus adaptés à l’Internet, avec une part plus ou moins importante dédiée à la vidéo et à la photo ; même si dans la pratique, l’ergonomie n’est pas toujours à la pointe. Les pure players bénéficient d’un flou juridique qui peut jouer à leur avantage : ils ne dépendent pas de la loi qui régit la presse libanaise (qui ne concerne que les imprimés), ce qui en théorie leur donne plus de marge de manœuvre pour exprimer des opinions critiques – ce que peu d’entre eux font. Mais d’un autre côté certaines instances ne reconnaissent pas à leurs membres le statut de journaliste ; ce que déplore Nehmé Lebbos, directeur d’iloubnan.info : « Certains hommes politiques refusent de nous accorder des interviews sous prétexte que nous ne sommes pas la presse, c’est ridicule », s’insurge-t-il.

De la difficulté de trouver un modèle économique rentable

Les sites d’information sur Internet font tous face, à des degrés différents, à la nécessité de trouver un modèle économique rentable. Si a priori les sites de parti n’ont pas nécessairement la vocation d’être autosuffisants, il n’en va pas de même des sites de journaux et des pure players : dans un monde où l’information circule instantanément et gratuitement sur la Toile, ils ne peuvent pas faire payer leurs informations en ligne et doivent trouver d’autres sources de revenus. Or, la publicité, traditionnel vivier de fonds pour la presse, est encore embryonnaire sur Internet au Liban et ne permet pas de faire vivre tous les sites. Ces derniers explorent donc des méthodes alternatives, avec plus ou moins de succès : abonnements pour recevoir des SMS, petites annonces, mise à contribution des lecteurs, vente de produits en ligne, etc. Paradoxalement, c’est un site de parti qui s’en sort le mieux : fort de sa position de leader, tayyar.org concentre en effet une grande partie des revenus publicitaires dépensés sur le Net et est rentable depuis deux ans.

iloubnan.info : un pure player sur Internet

iloubnan.info se revendique comme un portail Internet apolitique, indépendant et gratuit. Financé par des emprunts et par son fondateur Nehmé Lebbos et sa femme, rédactrice en chef du portail, le site a été lancé dans sa version beta en mars 2007, après un an et demi de travail. Couvrant en français et en anglais les actualités économiques, sociales, politiques, culturelles, sportives, de mode, etc. du Liban, le site se classe dans les cinquante premiers sites libanais selon le site de statistiques en ligne Alexa. Sa clientèle est majoritairement basée au Liban : 67,3 % de son trafic provenait du pays du Cèdre à la mi-mai 2010.

La société emploie une vingtaine de personnes, y compris les commerciaux et la régie interne ; elle tire ses revenus de la publicité, qu’elle tente de développer en promouvant des packages d’outils de communication, en lieu et place de la simple bannière, animée ou non : elle propose donc des newsletters, des actions de relations publiques (par exemple un ensemble d’articles pour un client), un habillage du site, etc., le tout sur une durée pouvant aller jusqu’à un an. Lebbos, qui ne souhaite pas préciser son modèle économie de façon chiffrée, affirme qu’il devrait rentabiliser son investissement initial – non divulgué – d’ici à la fin de l’année. En parallèle, il développe toutefois sa propre activité d’agence web, offrant du conseil en stratégie, en mise en page et en développement de sites web, car, selon ses propres termes, « la presse ne rapporte pas d’argent au Liban ». Son salaire par exemple n’est pas versé par iloubnan.info, mais par son agence web.

Le portail, dont le serveur est logé en Suisse, est constamment amélioré et devrait passer d’ici peu à sa troisième version, basée sur un modèle collaboratif, « encore plus que rue89 », précise Lebbos, avec qui il a signé un accord d’échange de contenu il y a un an. Blogueurs et internautes seront mis à contribution, et leur apport sera valorisé sur le site.En principe, le site devrait également lancer une version arabe en septembre de cette année, mobilisant une rédaction arabe à part entière. Cela constitue un premier pas vers une expansion régionale ; car Lebbos en est convaincu : « Les concepts panarabes sont l’avenir du Net libanais : on touche 250 millions de personnes au lieu de 4 millions. »

Le cas Tayyar.org

Tayyar.org est le site Internet du CPL, le Courant patriotique libre de Michel Aoun. Créé fin 2002 à partir de Paris, il s’est vraiment fait connaître de la communauté libanaise et expatriée pendant la guerre de juillet 2006, lorsque ses affiliations politiques lui ont permis d’obtenir des informations que d’autres médias avaient du mal à avoir. Depuis, il est la première source d’information libanaise sur la Toile et revendique 65 000 visiteurs uniques et 500 000 pages lues par jour en moyenne.

Tayyar est né pour répondre à trois besoins spécifiques : la nécessité d’avoir un média pour le CPL, la volonté d’établir un lien avec la diaspora libanaise et le besoin d’informer les Libanais. Produit et conçu à la base par des volontaires, Tayyar n’a commencé à s’institutionnaliser qu’en 2005 et c’est en 2007 qu’il est devenu une entité juridique légale (une SARL au capital de 5,6 millions de livres libanaises aujourd’hui), lorsque le mouvement politique est revenu s’installer au Liban et a eu besoin de facturer ses pages de publicité.

La structure du Tayyar est extrêmement légère : « Nous n’avons pas de locaux, nous travaillons de chez nous », explique Patrick Bassil, directeur de l’organisation qui emploie une quinzaine de personnes, dont la moitié de journalistes, sur une base de semi-volontariat. « Je suis moi-même volontaire ici, précise Bassil. Je touche un salaire de la OTV (la télévision du parti, NDLR) où je suis employé. » Il n’y a pas de rédacteur en chef, c’est lui-même et deux autres personnes qui donnent leur accord à la publication des articles. Les frais de fonctionnement du Tayyar s’élèvent donc à 250 000 dollars par an, entièrement couverts par la publicité depuis deux ans. La majorité des articles (environ 60 %) sont repris de sites de journaux libanais (al-Safir, al-Akhbar, an-Nahar, etc.) avec qui Tayyar a un accord tacite : « Nous mentionnons le nom du journal et du journaliste. Et nous mettons le lien qui renvoie à leur site : c’est de la publicité indirecte pour eux », explique Bassil, dont l’objectif est d’arriver à produire la moitié du contenu en propre, mais qui manque de ressources pour ça. De même qu’il manque de personnes qualifiées pour les traductions française et anglaise de son site. « Mais nous nous sommes rendus compte que plus de 90 % des internautes qui accédaient à notre site le faisaient en arabe », précise-t-il.

Comme Tayyar.org n’a pas vocation à être lucratif, les ressources libérées sont directement réinjectées dans le projet pour l’améliorer. C’est ainsi que Bassil table sur des locaux d’ici à la fin de l’année, pour réduire sa dépendance vis-à-vis des tiers dans la collecte d’informations et pour développer les activités commerciales du site, dont la régie publicitaire qui est en interne. Et il réfléchit à des idées de diversification, soit en tant qu’agence web, soit en tant que portail sur la région panarabe.


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