Après plusieurs jours de tractations, la société Sama a accepté de renoncer à l’exclusivité des droits de retransmission de la Coupe du monde au Liban moyennant plusieurs millions de dollars.
Il a fallu attendre le début de la Coupe du monde de football pour que la retransmission des matchs s’organise au Liban : les téléspectateurs ont découvert le soir de l’ouverture que les émissions étaient brouillées sur la plupart des abonnements des revendeurs illégaux de “câbles” ainsi que sur ceux des opérateurs légaux. L’émotion est telle dans le pays qu’elle mobilise trois ministères et se solde par le versement de plusieurs millions de dollars à la société détentrice des droits de retransmission au Liban pour que les téléspectateurs libanais soient satisfaits gratuitement.Que s’est-il passé pour en arriver là ? L’entreprise Sama acquiert les droits pour le Liban de la chaîne BeIn Sports du groupe qatarien al-Jazeera, détentrice exclusive de la licence de retransmission de la Coupe du monde 2014 auprès de la Fifa. Hassan Zein, son actuel président-directeur général, ne souhaite pas divulguer le montant de la transaction, estimée à plusieurs millions de dollars. Parallèlement, la chaîne publique Télé-Liban entame des négociations avec l’émirat du Qatar pour obtenir le droit de retransmettre l’événement et se prépare même à cette échéance qui devait aider à se relancer : « Cela fait sept mois que nous sommes techniquement prêts à retransmettre les matchs dans tout le pays », explique Talal Makdessi, son directeur général. Mais les négociations ne sont pas concluantes et le 10 juin le ministre des Sports reçoit un courrier de la chaîne qatarienne l’informant que Télé-Liban ne pourra pas retransmettre les matchs.
Parallèlement, Sama a vendu des cartes à 110 dollars à un nombre non communiqué de particuliers, seuls en mesure de suivre le match d’ouverture qui oppose le 12 juin le Brésil, pays organisateur, à la Croatie. Les enseignes commerciales ont, quant à elles, conclu des contrats de retransmission directement avec BeIn Sports pour des montants allant de 3 000 à 20 000 dollars. Créée au début des années 2000 par Mohammad Mansour, Sama a pour spécialité de racheter des droits aux chaînes étrangères afin de devenir leur représentant exclusif au Liban. Le premier bouquet qu’elle acquiert est celui d’Orbit Communications Company (réseau de télévisions dont le siège est à Bahreïn), puis en 2008 OSN (réseau de télévision installé à Dubaï) et enfin en 2010 BeIn Sports.
Les ministères des Sports, de l’Information et des Télécommunications cherchent alors un compromis avec Sama. Un premier accord annoncé le lundi 16 juin ne concerne que les opérateurs privés illégaux : « J’ai demandé une certaine somme. On m’a répondu que seule la moitié était possible. J’ai donc exclu de l’accord certains des acteurs », explique au Commerce du Levant Hassan Zein, PDG de Sama. Le gouvernement annonce que les sociétés Alfa et Touch qui gèrent le réseau des télécommunications au Liban au nom de l’État verseront la majorité de la compensation financière exigée par Sama. La somme de 3 millions de dollars est évoquée. « Cet argent provient des budgets consacrés par les deux sociétés au sponsoring d’événements », explique Boutros Harb, le ministre des Télécommunications. L’ancien Premier ministre Saad Hariri se déclare également prêt à assumer une partie de la somme. Mais l’accord n’est pas finalisé et les discussions continuent. Bien que représentant une petite part du marché télévisé au Liban, les opérateurs légaux du câble ne peuvent rester hors jeu. Un second tour de négociations commence.
Deux jours plus tard, une nouvelle conférence de presse permet à Boutros Harb d’annoncer un accord final entre Alfa et Touch qui se répartiront les 3 millions de dollars réclamés par Sama. « La proposition de Saad Hariri n’a pas été retenue, nous avons pu trouver une solution sans son aide », précise Boutros Harb. Les opérateurs légaux paient également de leur côté leur écot à Sama, pour un montant non communiqué.
À l’issue de cette conférence de presse, BeIn Sports n’est plus brouillée et les téléspectateurs soulagés. Sauf ceux qui avaient déjà investi dans les cartes et les décodeurs Sama. L’entreprise explique qu’elle ne les remboursera pas, mais fait un geste commercial : « Cette carte était à l’origine valable un seul mois et donnait accès à d’autres chaînes que BeIn Sports. Nous offrons à nos clients de la prolonger pendant six mois, sur demande », explique Hassan Zein, qui ne divulgue aucun chiffre concernant cette opération.
Télé-Liban est quant à elle exclue de l’accord. Raison invoquée par le ministère des Télécommunications : les conditions de l’accord entre la Fifa et la chaîne du Qatar empêchent la retransmission sur des chaînes numériques terrestres non codées. D’après les explications de Hassan Zein, il s’agit de respecter les conditions d’exclusivité, BeIn Sports ayant acheté l’exclusivité des droits dans la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord. Le signal de Télé-Liban pourrait être reçu au-delà des frontières libanaises, en Syrie et en Israël, en dehors des termes légaux de l’accord. Surpris de ne pas avoir obtenu les droits alors qu’il représente la chaîne nationale, Talal Makdessi prend alors l’initiative de diffuser la totalité des matchs grâce à des “arrangements” trouvés avec des chaînes étrangères, dont il refuse de préciser la teneur. Les téléspectateurs ont notamment pu visionner un match avec des commentaires en turc. Une décision qui pourrait valoir à Télé-Liban des sanctions, le règlement de la Fifa précisant que « toute violation expose l’exploitant à des poursuites selon le droit en vigueur ». La chaîne BeIn Sports a d’ores et déjà envoyé une lettre au ministère de l’Information, tutelle de Télé-Liban, pour lui demander de mettre fin à cette situation. À l’heure d’aller sous presse, la chaîne publique n’avait pas obtempéré.


