Réunis à Paris, une quinzaine de designers libanais ont fait des étincelles. Pour de nombreux professionnels, ce succès est le signe d’un écosystème mature et pérenne.

Collection Hawa Beirut de Richard Yasmine / Crédits: BizarreBeirut
Collection Hawa Beirut de Richard Yasmine / Crédits: BizarreBeirut

Paris serait-elle la capitale du Liban ? En tous les cas, en septembre, Paname était bien la ville où il fallait être lorsqu’on s’intéresse au design libanais.

Six créateurs (Carlo Massoud, Marc Dibeh, Carla Baz, Anastasia Nysten, Studio Caramel et Paola Sakr) étaient les invités du Salon Maison & Objet, le plus gros salon professionnel français (240 000 visites et près de 5 200 exposants), dans le cadre de l’espace “jeunes talents”. Ils en sont d’ailleurs repartis auréolés d’un prix spécial attribué à chacun d’entre eux. On les retrouvait ensuite à la galerie S. Bensimon en compagnie de Karim Chaaya, David & Nicolas, Tarek el-Kassouf, 200 Grs, Hala Matta, Alya Tannous, Thomas Trad, Richard Yasmine et Samer Alameen. David & Nicolas menaient en outre leur premier show solo, dénommé “Supernova”, à la Carpenters Workshop Gallery. Sans oublier la plate-forme House of Today, qui organisait Design/Diplomatie, une exposition conçue par Marc Baroud autour d’une dizaine des grands noms du design, à l’ambassade du Liban de Paris. « C’était un peu fou : nous étions tous là ou presque », s’amuse Tarek el-Kassouf, qui présentait à la galerie S. Bensimon sa melting lamp. « Il y avait un vrai esprit d’équipe, une cohérence et une belle solidarité entre nous tous. »

Une école libanaise ?

Si Paris a marqué les esprits, c’est que les différents événements qui s’y déroulaient signent la reconnaissance du design libanais sur la scène internationale. « Le design libanais possède ses grands précurseurs : Nada Debs, Karen Chekerjian, Karim Chaaya… n’ont plus rien à prouver à titre individuel. Ce qui était différent cette fois-ci, c’est la découverte d’une “école” libanaise et d’une nouvelle génération en train d’émerger par un public européen et international », veut croire Rami Boushdid, fondateur avec son autre “partner in crime”, Karl Chucri, de Studio Caramel, représenté au Salon Maison & Objet comme à la galerie S. Bensimon. La preuve : lors de l’inauguration chez S. Bensimon, si on comptait sur la diaspora, le monde des collectionneurs internationaux était bien de la partie. « J’ai vendu l’une de mes pièces à un collectionneur japonais, qui va l’installer chez lui à Tokyo ; une autre à un couple de Français », témoigne, presque étonnée, Carla Baz. « Beaucoup sont dans le même cas : Paris nous a apporté une énorme visibilité, mais notre passage a aussi généré des commandes et des idées futures de collaboration. »

Ce joli succès, la création libanaise le doit d’abord à son adéquation avec les exigences du marché européen. « Le design libanais fonctionne bien, notamment en France et en Italie, parce qu’il fait écho aux attentes d’un large public, à la recherche d’un design contemporain, qui ne renie ni l’aspect décoratif ni la tradition artisanale », explique François Leblanc, le curateur de la galerie S. Bensimon, qui a sélectionné les quinze artistes présents avec la complicité de la Libanaise Joy Mardini, qui dirige Joy Mardini Design Gallery à Beyrouth.

Pour Rami Boushdid, Beyrouth continue de représenter un point de rencontre entre différentes cultures, différents mondes. « Nous ne produisons pas des objets “marqués” par une esthétique spécifiquement orientale. La plupart d’entre nous ont débuté à Beyrouth, mais ont ensuite étudié, voire travaillé à l’étranger. Le design libanais est le point de convergence de multiples et larges influences. Il est à la fois intemporel et international : de facto, il parle à différents publics. »

Tendance design de collection

Mais si l’on s’intéresse à la structuration du secteur, ce succès est aussi le fruit d’un écosystème devenu plus mature et pérenne. C’est du moins l’opinion de Joy Mardini. « En l’espace de quelques années seulement, différentes initiatives ont permis de structurer ce marché : la mise en place d’une filière à l’Académie libanaise des beaux-arts, l’émergence de galeries spécialisées, la création d’une foire dédiée qui a favorisé l’émergence d’un public amateur au Liban… Le marché existe, parce que ces institutions l’irriguent », assure-t-elle. Aujourd’hui, Beyrouth compterait quelque 200 créateurs d’objets ou de mobiliers, si on en croit les chiffres communiqués par la Beirut Design Fair (BDF). « Même si bon nombre d’entre eux continuent de vivre grâce à des missions d’architecture d’intérieur, la création de meubles et d’objets est ce qui les motive, réagit Guillaume Taslé d’Héliant, fondateur et directeur de la BDF. Beyrouth gagne en reconnaissance en tant que capitale du design au Moyen-Orient. »

Un phénomène mondial l’aide, il est vrai, à s’imposer : la recherche de pièces d’un “collectible design” (design de collection), soit des objets et des meubles – la plupart contemporains – de très haute facture, produites pour la plupart en édition limitée. « Le design libanais n’est jamais passé à une production de masse. Cela a longtemps représenté un élément de faiblesse. Aujourd’hui, un public recherche des œuvres de collection pour se démarquer d’une production de masse. Or, le Liban offre une créativité singulière, très marquée par son lien avec l’artisanat. Ce qui était naguère une faiblesse devient une force », assène le directeur de la BDF. Ces créations, démarrant à 1 500 ou 2 000 dollars, restent « moins cher que du design industriel haut de gamme », souligne encore l’architecte et créateur Tarek el-Kassouf. En tous les cas souvent plus accessibles que l’art contemporain. Reste que ces œuvres en édition limitée, vendues le plus souvent en galerie, ne suffisent pas à faire vivre ses créateurs. « Des clients du Golfe, par exemple, me téléphonent pour me dire : “Nous sommes de passage à Beyrouth et nous voudrions vous acheter quatre chaises”, témoigne Richard Yasmine. Mais je n’ai aucun stock : tout est fait à la main et sur commande. Il m’est arrivé de rater des ventes de ce fait. Ne nous leurrons pas : si Beyrouth gagne en visibilité, il lui manque encore les aides financières qui permettraient à ses créateurs de passer à l’étape supérieure. Peut-être pas une production de masse, mais des petites séries. Peu d’entre nous y sont parvenus pour l’heure. »




Beyrouth Sujets/Objets, jusqu’au 3 novembre, à la galerie S. Bensimon, 111, rue de Turenne, Paris 3e.