Deux villages recourent collectivement à l’énergie solaire pour suppléer aux coupures d’électricité et éviter les générateurs. Le Liban prendrait-il enfin le chemin du solaire ?

L’air au Liban est pollué. Archi pollué. Si on regarde le niveau de concentration en dioxyde d’azote (NO2), il avoisine les 63 microgrammes par mètre cube à l’année, quand la limite d’exposition à ces particules fines, responsables des cancers des poumons, est fixée à 40 microgrammes par m3. Sur la carte récemment publiée par l’Agence européenne de l’espace, cette concentration met Beyrouth au même niveau qu’une mégapole comme Le Caire.

En cause ? Les voitures bien sûr. Mais les générateurs restent l’un des principaux accusés. Les Libanais n’ayant d’autres choix que d’y recourir pour se fournir en électricité quand l’État peine à assurer 10 à 12 heures de courant par 24 heures en moyenne.

Pourtant, avec environ 300 jours d’ensoleillement par an, le Liban pourrait figurer parmi les pays pionniers en matière d’énergie verte. Las, le solaire – l’une des principales sources d’énergie durable – ne représente aujourd’hui que 0,35 % du total de l’électricité produite.

Des initiatives viennent malgré tout donner un regain d’espoir : deux villages recourent collectivement aux panneaux solaires pour garantir à leurs habitants l’électricité 24 heures sur 24, afin de réduire – voire d’éviter – l’usage des générateurs. « Nous étions à la recherche d’une solution écologique pour remplacer les générateurs », explique Rachid Geagea, président de la municipalité de Bchaalé, qui compte 250 foyers à l’année, et qui a démarré sa mutation verte en 2018.

Au stade de l'expérimentation

Dans ce village du Nord, la municipalité est entrée en contact avec Energy 24, un fabricant de système de stockage d'énergie électrique. La possibilité d’y mener un “projet pilote” a convaincu l’entreprise d’investir 650 000 dollars pour la construction d’un parc solaire d’une capacité de 300 kilowatts peak (kWp), le raccordement aux réseaux ainsi que l’installation des batteries d’une durée de dix ans et des compteurs. « Nous avons signé un contrat de neuf ans, renouvelable pour fournir une puissance de 10 ampères au moment des coupures. Je ne rentre pas dans mon investissement, mais je prouve que ma technologie peut fonctionner pour des projets d’une grande ampleur », assure Antoine Saab, PDG de la start-up fondée en 2011.

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Avec 150 installations à son actif, la plupart menées auprès de particuliers ou d’entreprises, Energy 24 avait besoin de tester sa technologie à plus grande échelle pour persuader des collectivités que ces batteries pouvaient relayer efficacement EDL lors des coupures. Son pari semble en bonne voie de réussir : les bourgades de Tartij et de Jej, voisines de Bchaalé, ont déjà signé pour un mix électrique similaire.

À Kabrikha, un village du Sud, l’initiative a démarré en 2015 à l’instigation de l’agence Cedro du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Dénommée “Village 24”, elle entend prouver comme celle de Bchaalé « qu’il existe des alternatives aux générateurs qui soient en même temps respectueuses de l’environnement et économiquement viables», selon l’agence du Pnud.

Dans cette commune, une centaine de foyers (sur les 400 que compte le village) ont opté pour le photovoltaïque. Les Nations unies ont financé, par un don de 300 000 dollars, l’installation d’une centrale solaire d’une capacité de 250 kWp. En échange, Kabrikha a offert le terrain, sur lequel la station a été installée ainsi que les infrastructures de raccordement.

Quand l’électricité de l’État se coupe à Kabrikha, le solaire supplée fournissant une intensité variable, en fonction des compteurs installés dans les foyers. Les frais de fonctionnement sont pris en charge par la municipalité, qui n’exige pas, pour l’heure, de contribution financière de la part de ses administrés.

La facturation intelligente

Plus que les promotions d’une énergie verte, ce qui a convaincu les habitants de passer au solaire c’est la promesse d’économie. « Avoir recours à l’énergie solaire fait sens : elle est disponible et de moins en moins onéreuse », selon Rachid Geagea.

Il y a quelques années, un tel projet était en effet encore difficilement concevable : en 2011, le coût de la production d’un kWp solaire s’élevait à 7 186 dollars, selon une étude du Pnud. Depuis, l’amélioration des technologies solaires a permis une baisse considérable des dépenses d’installation. En 2017, le coût d’un kWp s’élevait 1 545 dollars le kWp en 2017, soit près de 80% de moins, toujours selon le Pnud. « Cette baisse a énormément facilité l’accès aux panneaux solaires », explique l’agence Cedro.

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Restait un problème de taille : quand on associe un opérateur d’État, en l’occurrence EDL, et des intermédiaires privés, comment faire payer l’électricité aux habitants ?

À Kabrikha, le Pnud a choisi de développer la technologie du net metering –autorisée au Liban depuis 2011. Pour un particulier ou une collectivité, qui possède des panneaux photovoltaïques, cette méthode de “facturation nette” – la traduction française du terme anglo-saxon – consiste à soustraire sa production d’énergie à sa consommation. EDL mesure la consommation des ménages grâce à un compteur bidirectionnel. Le système est très précis, assure EDL, et seule la différence nette est facturée et payée par l’usager.

Lorsque la production d’électricité solaire excède la consommation du village, ce surplus est “reversé” gratuitement sur le réseau EDL, l’institution détenant toujours officiellement le monopole de production de l’électricité au Liban.

À Bchaalé, le système est différent : la municipalité s’appuie sur un acteur privé pour obtenir du courant pendant les coupures d’EDL, à la manière de ce qui se passe avec les propriétaires de générateurs. Avec une grosse différence toutefois : les batteries d’Energy 24 stockent au préalable une partie de l’électricité produite par la centrale avant de reverser l’excédent gratuitement au réseau d’EDL, comme c’est le cas à Kabrikha.

Energy 24 facture l’énergie produite : elle propose des cartes prépayées pour un courant d’une intensité de 10 ampères à 400 livres libanaises le kilowatt. En moyenne les foyers doivent ainsi s’acquitter d’une facture mensuelle d’environ 20 dollars. « Ce qui représente des économies de 40 à 60 dollars par mois, selon les saisons et les foyers, par rapport aux générateurs », estime Rachid Geagea, qui se dit « extrêmement satisfait » du système mis en place.

Absence de cadre légal

Mais pour que le solaire puisse s’imposer face à la “mafia des générateurs”, le législateur doit fournir un cadre légal à sa production et sa revente. Ce qui est encore loin d’être acquis.

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Si le net metering est autorisé pour les particuliers depuis 2011 (90 foyers ont à ce jour opté pour cette solution à titre individuel, selon les chiffres d’EDL), la version collective, à l’image de celle mise en place à Kabrikha, reste en théorie interdite. « La solution de Kabrikha ne doit son développement qu’à son statut d’expérimentation », déplore Pierre el-Khoury, du Centre libanais pour la conservation de l’énergie (LCEC). Ce projet gardera ce statut, jusqu’à fin 2019 normalement, permettant à EDL d’en tirer des leçons avant d’envisager des accords similaires avec d’autres collectivités.

À Bchaalé également, le cadre légal reste flou. « Nous sommes dans cette zone grise où interviennent également les propriétaires de générateurs. Nous sommes tolérés, car EDL ne remplit pas pleinement sa mission ; mais nous n’avons pas le droit d’exister légalement », fait valoir Antoine Saab.

Le Liban produit aujourd’hui 8 % de son énergie grâce aux technologies vertes et compte atteindre 12 % d’ici à 2020. Compte tenu des projets lancés, cet objectif serait à la portée du Liban. Mais l’absence d’une législation adéquate ne fait que rendre un tel objectif encore plus difficile, à l’heure où le pays accuse toujours un déficit d’environ 1 000 MW en électricité.

Des mécanismes pour plus d’énergies renouvelables

Plusieurs mécanismes financiers ont été mis en place récemment pour porter le développement des énergies vertes. Le plus ancien, l'Action nationale pour l'efficacité énergétique et l'énergie renouvelable (NEEREA) existe depuis 2010. Lancé à l’initiative de la Banque du Liban, ce mécanisme a aidé au financement de 780 projets pour plus de 464 millions de dollars. Plus récemment, fin 2017, la Banque européenne d’investissement et l’Agence française de développement ont accordé une ligne de crédit de 80 millions d’euros à la BDL, baptisée LEEREFF (Lebanon Energy Efficiency and Renewable Energy Facility Fund). Cinq banques (Bank Audi, BLC, Fransabank, SGBL et Byblos Bank) y ont souscrit pour fournir des “crédits verts”. En parallèle, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et Bank Audi ont mis en place, fin 2018, un mécanisme de financement à hauteur de 200 millions de dollars. Là encore, il s’agit d’accorder des prêts à taux réduits (inférieurs à ceux proposés sur le marché, mais supérieurs aux taux de NEEREA et LEEREFF) aux entreprises et aux particuliers pour des projets d’énergie renouvelable ou d’efficacité énergétique. Cet accord s’inscrit dans le cadre du programme GEFF (Green Economy Financing Facility) de la BERD.