Après plusieurs mois d'interruption, les prêts logement subventionnés devraient refaire leur apparition dans les banques. Mais les nouvelles conditions imposées par la Banque du Liban ne devraient pas satisfaire les acheteurs potentiels, ni les banques.

Élie Abi Hanna

La Banque du Liban a annoncé fin janvier un “plan de relance” d’un peu plus d’un milliard de dollars, le huitième depuis 2012. Dans un contexte de croissance faible et de taux d’intérêt élevés, ces plans visent à soutenir certains secteurs, à travers des crédits subventionnés octroyés par les banques. Celui de l’immobilier en a toujours été l’un des principaux bénéficiaires. En consacrant chaque année près de la moitié de l’enveloppe aux prêts logement, la BDL alimentait la demande et empêchait ainsi un effondrement des prix.

Mais à partir de fin 2017, la machine s’est emballée. Dopée par la hausse des salaires dans le secteur public, la demande de prêts a explosé et l’enveloppe prévue pour l’ensemble de l’année 2018 s’est évaporée en à peine trois mois. Privé de financements à taux réduits, le secteur a subi depuis un sévère coup de frein : les ventes, en valeur, ont chuté de 18,4 % en un an, tandis que les livraisons de ciment et les permis de construire ont baissé de 8,7 % et 23,1 % respectivement.

C’est dire combien le nouveau plan de relance était attendu par les promoteurs immobiliers et leurs banquiers. Car pour la BDL l’enjeu n’est pas social. Le rôle d’une banque centrale «n’est pas de favoriser l’accès au logement», comme le rappelle Nassib Ghobril, directeur du département de recherche à Byblos Bank. «Cette fonction devrait relever du gouvernement qui doit mettre en place une politique de logement», approuve d’ailleurs le directeur de l’unité de financement à la BDL, Waël Hamdan.

Les prêts subventionnés répondent avant tout à un impératif économique – soutenir un secteur devenu l’un des seuls moteurs de croissance – et financier : éviter un crash immobilier susceptible de déstabiliser les banques, largement exposées au secteur.

Mais contrairement aux années 2012-2017, l’autorité monétaire doit désormais composer avec une nouvelle donne : l’inflation, qui s’est élevée à 6,07 % en 2018, et le ralentissement des entrées de capitaux dans le pays, qui mettent la pression sur ses réserves en devises. Naviguant entre ces différentes contraintes, la BDL a donc relancé les prêts logement subventionnés, mais à des nouvelles conditions.

Une enveloppe réduite et des taux en hausse

Pour limiter les pressions inflationnistes, comme en 2018 déjà, près de la moitié de l’enveloppe porte sur des crédits en dollars, entre autres pour la diaspora.

Sur la partie en livres libanaises (865 milliards de livres libanaises, soit l’équivalent de 576 millions de dollars), 790 milliards sont consacrés aux prêts logement, un montant légèrement supérieur à celui qui avait été annoncé dans le plan de relance de 2018. Mais sur le papier seulement. Les fonds ayant été engloutis dès mars 2018, les banques ont en fait puisé dans l’enveloppe de 2019.

Résultat : sur les 790 milliards annoncés, il ne reste que 300 milliards de livres, soit l’équivalent de 200 millions de dollars, de nouveaux prêts subventionnés à octroyer cette année.

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«Ce montant n’est pas suffisant pour satisfaire la demande», commente le directeur général de l’Établissement public de l’habitat (EPH), Rony Lahoud. D’autant que les effets du relèvement de la grille des salaires de la fonction publique «continuent de se faire sentir en 2019», ajoute le PDG de la Banque de l’habitat, Joseph Sassine. «Ce relèvement a permis à beaucoup de fonctionnaires de devenir éligibles pour les prêts logement, cette demande n’a pas été totalement absorbée en 2018.»

Pour accroître le nombre de bénéficiaires potentiels, le plafond des prêts a été abaissé. Celui des prêts octroyés à travers l’EPH reste à 270 millions de livres libanaises (l’équivalent de 180 000 dollars), mais celui des prêts octroyés par les autres banques passe de 1,2 milliard de livres ou 800 000 dollars à 450 millions de livres (soit 300 000 dollars) pour les prêts en livres libanaises et à 600 000 dollars pour les prêts octroyés en dollars aux émigrés libanais. Une mesure qui, pour Rony Lahoud, aurait dû être prise il y a longtemps : «Ceux qui ont les moyens d’acquérir un logement à 800 000 dollars ne devraient pas avoir besoin d’être subventionnés», ajoute-t-il. De son côté, Waël Hamdan se défend en soulignant que «la majorité des prêts octroyés en 2018 ne dépassent pas la barre des 300 millions de livres».

La demande des ménages à revenus modestes devrait toutefois être freinée par la hausse des taux d’intérêt par rapport à l’année dernière.

Selon la circulaire 511 datée du 30 janvier, la Banque centrale prendra à sa charge entre 4,56 et 5 % selon la nature des prêts. Le taux proposé aux clients par l’EPH, ou dans le cadre de protocoles signés entre les banques et certaines institutions publiques, sera ainsi de 5,5 %, contre 3,75 % et 2,628 % pour l’un et l’autre en 2018.

Quant aux autres prêts logement accordés par les banques, ils seront proposés à 5,94 % contre 4,75 % l’année dernière.

Cette majoration reflète la hausse des taux d'intérêt des crédits en livres et en dollars sur le marché à 9,10 % en moyenne pour les prêts en devises nationales et 8,07 % pour ceux en dollars, contre 8,29 % et 7,34 % respectivement en 2018. «Les taux d’intérêt des prêts logement restent inférieurs à ceux du marché, mais ils sont néanmoins élevés, ce qui devrait refroidir les acheteurs potentiels», estime le directeur général de l'EPH.

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Des conditions peu attractives pour les banques

Si les conditions sont moins attractives pour les clients, elles le sont aussi pour les banques, dont beaucoup pourraient choisir de ne pas participer au plan. Sollicitées par Le Commerce du Levant, plusieurs d’entre elles n’ont pas souhaité s’exprimer à ce stade.

«Nous ne sommes pas encore en mesure de divulguer nos marges éventuelles sur ces prêts, mais nous savons quand même qu’elles sont réduites. Les banques ont plutôt intérêt à investir leur argent ailleurs», affirme Nassib Ghobril.

Les intérêts générés par les banques sur ces prêts, incluant la subvention de la BDL, sont en effet passés de 9,5 à 10,5 % en un an, alors que le Beirut Reference Rate en livres libanaises – qui mesure la rémunération moyenne offerte aux déposants – a augmenté de 1,2 point de pourcentage sur la même période.

La rémunération est d’autant plus importante que le mécanisme des subventions a changé l’année dernière. Depuis, les banques doivent financer les prêts de leur propre liquidité et se faire rembourser a posteriori, tous les trois mois, le montant de la subvention, alors qu’auparavant c’était la Banque centrale qui avançait la totalité des fonds.

Mais le plus décourageant pour les banques est l’obligation, introduite dans la nouvelle circulaire, de convertir des dollars en livres libanaises avant de pouvoir les prêter à des taux réduits. «L’objectif de la Banque centrale est de préserver ses réserves en devises, sachant que les crédits en livres, dans l’immobilier en particulier, financent la construction et donc l’importation de matières premières, libellées en dollars. La BDL préfère que les banques utilisent leurs dollars plutôt que son propre stock», explique un banquier ayant requis l’anonymat.

Dans ces conditions, seules quelques banques seraient tentées, notamment celles qui comptent parmi leurs clients des promoteurs en difficulté qu’elles ont intérêt à soutenir. D'autant que la circulaire n’impose aucun quota. «Le premier arrivé sera le premier servi», résume Nassib Ghobril.

Le plan de relance en quelques chiffres

La circulaire intermédiaire 511 datée du 30 janvier prévoit :

1,076 milliard de dollars de prêts subventionnés en 2019 : 865 milliards de livres libanaises et 500 millions de dollars.

790 milliards de livres pour les prêts logement.

45 milliards de livres pour les prêts à l’éducation (contre 22 milliards en 2018).

25 milliards de livres pour les microcrédits (30 milliards en 2018).

5 milliards de livres pour les garanties de prêts Kafalat (8 milliards en 2018).

500 millions de dollars pour les projets verts, la production d’électricité à partir de ressources renouvelables, les prêts dans l’éducation, le financement de projets culturels (films, documentaires, pièces de théâtre) et les prêts logement aux émigrés.

La Banque de l’habitat à la recherche d’alternatives

En imposant aux banques de convertir des dollars en livres libanaises et de les déposer auprès de la BDL, la circulaire 511 exclut de facto la Banque de l’habitat. «La Banque de l’habitat est une banque spécialisée qui ne possède pas de dépôts en dollars, explique son PDG Joseph Sassine. Elle ne peut malheureusement pas bénéficier de la nouvelle enveloppe.» L’institution a été contrainte d’augmenter ses taux d’intérêt de 3,75 % en 2018 à 5,5 % et le montant des prêts accordés s’élève désormais à 1,5 milliard de livres libanaises par mois en moyenne, «un montant négligeable par rapport à la demande du marché», souligne Joseph Sassine, en affirmant «prioriser les prêts de moins de 300 millions de livres». «À ce rythme, la Banque de l'habitat n’accordera que 18 milliards de livres libanaises de prêts cette année, contre 570 milliards en 2017 et 160 milliards de livres libanaises en 2018», ajoute-t-il.

Privée des fonds de la BDL, la banque devrait retrouver son mode de fonctionnement traditionnel, qui consiste à emprunter auprès d’institutions locales ou régionales, à des conditions avantageuses. «Nous sommes en négociation pour obtenir un crédit à taux favorable auprès d’un fonds économique arabe», dit Joseph Sassine.

Trois questions à…

Sélim Habib, PDG de IBL Bank

Que pensez-vous du dernier plan de relance de la Banque du Liban et allez-vous y adhérer ?

L’IBL ne peut que se féliciter de cette nouvelle initiative de la Banque du Liban. Nous allons recommencer à proposer des prêts logement subventionnés aux taux prescrits par la circulaire de la Banque du Liban ainsi que des prêts destinés aux secteurs productifs.

La nouvelle enveloppe de prêts logement est-elle suffisante pour répondre à la demande ? Que pensez-vous du mécanisme de déboursement des subventions ?

Le marché immobilier a besoin d’une enveloppe plus importante compte tenu de la demande du marché, mais cette action va créer une dynamique de relance. C’est une action positive qui aura pour effet de réactiver différents secteurs de l’économie par un effet d’entraînement. Pour ce qui est du déboursement des subventions, a posteriori tous les trois mois, il a pour objectif d’éviter les pressions inflationnistes qui pourraient être engendrées sur le marché.

Combien de prêts subventionnés au logement avez-vous octroyés en 2018 ?

L’enveloppe attribuée à l’IBL en 2018 était de 10 milliards de livres libanaises et elle a été presque totalement utilisée.