Avec une consommation en croissance, la filière se porte plutôt bien. Elle exporte 4 millions de bouteilles à l’étranger et génère même un excédent de 12 millions de dollars. Mais cette bonne santé cache des défis, que les producteurs peinent à prendre à bras-le-corps, faute d’un soutien national.

Les prix des entrées de gamme libanais ont du mal à rivaliser avec ceux de leur alter ego étrangers
Les prix des entrées de gamme libanais ont du mal à rivaliser avec ceux de leur alter ego étrangers photo : Ghadi Smat

Comment sera le cru 2019 ? Difficile de juger de la qualité de ce millésime, que les amateurs devront attendre encore trois ou quatre ans avant de découvrir. Principale raison ? Des conditions météorologiques délicates cette année : les pluies diluviennes du printemps puis les épisodes caniculaires de l’été n’ont épargné aucun bassin viticole. Mais ces aléas météorologiques, liés au réchauffement climatique, ne doivent pas cacher la relative bonne santé du secteur.

Avec 52 caves enregistrées auprès des services du ministère de l’Agriculture et une production locale estimée autour de 8,5 millions de bouteilles par an, le secteur attire les investisseurs. «C’est un signe positif quand on se rappelle qu’au sortir de la guerre de 1975, le Liban comptait seulement trois à quatre caves en activité, explique Diana Salamé, œnologue-consultante, qui intervient entre autres au Domaine Wardy de Zahlé. Nous avons fait des pas de géants.»

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Ces dernières années, plusieurs projets sont encore sortis de terre. Parmi les plus récents, on peut citer Les Caves de Marje, un domaine établi sur les terres du village de Marjeyoun dans le sud du pays ou le Château des trois collines, dont les vignes sont plantées dans la région de Baalbeck.

Cet attrait relativement récent des investisseurs pour l’univers du vin est porté par l’intérêt du public libanais. Avec 4 à 5 millions de bouteilles écoulées en 2018 au Liban, la consommation locale a connu l’année passée une hausse de 5 % en volume et 3 % en valeur, selon l’étude Nielson 2019, qui évalue les ventes d’alcool et de spiritueux dans les supermarchés ou les épiceries ainsi que dans le secteur de la restauration.

«C’est parmi les jeunes que la consommation de vin libanais est le plus en hausse. Les anciennes générations étaient davantage méfiantes vis-à-vis du “Made in Lebanon” et préféraient les vins étrangers, français en particulier. Mais la jeune génération n’a pas ces réticences. Consommer local est même une fierté», précise Joe Saadé, fondateur en 2008 de Terre Joie, un petit vignoble (quatre hectares en activité) de la Békaa-Ouest.

Les défis sont immenses

Mais cette note d’optimisme ne doit pas cacher la situation toujours fragile de la filière. «L’affaiblissement du pouvoir d’achat des Libanais, ces dernières années, a une réelle incidence sur les ventes locales», constate Zafer Chaoui, président de l’Union vinicole du Liban (UVL) et de Château Ksara, le numéro un local.

Un segment est particulièrement touché : le moyen de gamme. «Le choix des Libanais s’est davantage porté en 2018 vers les entrées de gamme. Le moyen de gamme a progressé bien plus lentement», constate Patrick Antonia, directeur général d’Ixsir.

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Problème : les entrées de gamme locaux ont du mal à rivaliser avec leur alter ego étrangers, qui inondent le marché avec 1,8 million de cols importés selon les douanes libanaises en 2018 et une croissance pondérée de 1,9 % depuis 2010.

«N’importe qui peut décider d’acheminer un ou deux containers de vins importés. C’est ce qui explique que les bars et les restaurants croulent sous les vins étrangers, de marques souvent inconnues. À Mar Mikhaël, 80 % des vins proposés sont ainsi français ou italiens. Cette situation n’est pas normale», s’emporte Zafer Chaoui.

C’est surtout le prix de vente qui détermine leur achat. La moyenne de bouteilles importées se situe, selon les douanes, autour de 6 225 livres libanaises (4,15 dollars) la bouteille, alors qu’un premier prix libanais tourne autour de 9 000 livres libanaises (6 dollars).

«Tout est plus onéreux chez nous : les terrains sont souvent plus chers, par exemple. Les produits dont nous avons besoin – bouteilles, bouchons… – viennent, qui plus est, tous d’Europe. Ce qui surenchérit nos coûts. Il nous est de facto assez difficile de nous mettre au niveau des prix des productions étrangères», déplore Patrick Antonia.

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Ce problème, ce sont surtout les “petites” caves (moins de 50 000 cols à l’année) qui le vivent avec le plus d’acuité. «J’ai tenté de me faire un nom sur les moyens ou les hauts de gamme, les segments qui souffrent en ce moment parce que je ne pouvais pas rivaliser sur les entrées de gamme. Ce n’était pas ma cible, fait valoir Joe Saadé. Je me retrouve de fait dans une situation de précarité. Il faut encore investir alors que j’espérais ne plus avoir à le faire.»

Un retour d’expérience qui rappelle combien certains problèmes structurels n’ont pas été pris en considération au moment de lancer un nouveau domaine. «Beaucoup de propriétaires terriens, qui ont choisi de planter des vignes, ne voient d’abord que “la belle image” liée à la production de vins. Ce n’est qu’une fois lancés, qu’ils réalisent l’importance des investissements financiers à mener pour que la qualité de leur production rejoigne les standards internationaux. Ils n’entrevoient pas non plus l’effort commercial à mettre en œuvre pour imposer leurs vins dans les supermarchés ou dans les bars et les restaurants», justifie Diana Salamé.


Certaines caves se penchent sur les cépages indigènes, ces raisins qu'on ne rencontre que dans la région du Levant comme l'obeidi. photo : Ghadi Smat


Déjà, certains ont mis la clé sous la porte comme Les Coteaux de Botrys (Batroun) ou Château Florentine (Chouf), faute notamment d’avoir su trouver des canaux de commercialisation suffisants. «Il est probable que beaucoup de nouvelles petites caves n’existeront plus dans cinq à dix ans, estime Joe Saadé. Il pourrait même y avoir un effet de concentration.»

Face à un marché local très concurrentiel, la plupart misent sur l’exportation, qui représente environ 50 % des volumes écoulés chaque année. Les résultats de ceux déjà bien installés semblent leur donner raison : les ventes de vins libanais à l’étranger connaissent un vrai boom de l’ordre de 8,1 % en croissance pondérée depuis 2010.

«Le Liban est devenu exportateur net de vins, ce qui est assez rare pour être noté», se félicite Zafer Chaoui. En 2018, l’excédent était de 12 millions de dollars contre 3,8 millions en 2008.

Mais, là encore, les problèmes sont légions. En premier lieu, l’absence de reconnaissance internationale. Le Liban peut certes revendiquer 7 000 ans d’histoire viticole : après tout, ce sont les Phéniciens qui commercialisèrent la vigne et propagèrent leurs amphores de vins partout dans le monde. Mais la renaissance de ce petit vignoble (autour de 3 000 hectares dédiés aux vins) reste un phénomène trop récent pour que ces domaines soient reconnus à l’international, exception faite peut-être de Château Musar, repéré en 1979 lors de la Foire aux vins de Bristol et que les Anglo-Saxons s’arrachent toujours depuis lors.

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«À ce jour, la profession exporte environ 4 millions de cols chaque année dans près de 35 pays, principalement là où vit la diaspora libanaise», précise Zafer Chaoui.

Pour dépasser la niche ethnique, les producteurs ont besoin d’affirmer un positionnement qui les rend incontournables aux yeux des amateurs du monde entier. C’est du moins l’opinion de Joe Saadé. « Comment les consommateurs identifient-ils les vins californiens ? Grâce à la prédominance du cépage cabernet. Les vins argentins ? Grâce au malbec… Nous devons faire de même : trouver une ligne qui nous définisse tous ensemble.»

Parmi les pistes envisagées, certains se penchent sur les cépages indigènes, ces raisins qu’on ne rencontre que dans la région du Levant comme l’obeidi. D’autres envisagent de se choisir un emblème international, à l’image du cinsault, un cépage provençal, arrivé au début du XIXe siècle au Liban dans les valises des jésuites. Le Financial Times titrait d’ailleurs en avril 2019 : « Lebanon’s cinsault revolution » (en français : « La révolution libanaise du cinsault ») pour évoquer la pertinence de ce choix de cépage chez certains vignerons.

D’autres encore veulent croire qu’une appellation d’origine contrôlée les aidera à mieux s’identifier. Quelle que soit l’orientation prise, sans un soutien gouvernemental plus important, la filière pourra difficilement faire mieux. «L’État devrait davantage nous aider dans notre quête de reconnaissance internationale, à l’image de ce que font les gouvernements italien ou géorgien, qui organisent, par exemple, de longues campagnes génériques dans des pays ciblés pour mieux faire connaître les vins du Liban», fait valoir Patrick Antonia.