Un article du Dossier

Le who’s who de la blogosphère libanaise

Si on en croit le moteur de recherche de blogs libanais lebanonaggregator.com, on compte aujourd’hui environ 500 blogs actifs qui traitent du Liban. Ces blogs se sont démultipliés ces dernières années, en contrepoint de la presse traditionnelle, que ces nouveaux médias, à l’image de Beyroutiyat du blogueur Assaad Thebian, estiment « trop affiliée à des courants politiques ». Les blogs libanais entendent donner une “information différente”. Ils se veulent en particulier les relais de la société civile et des combats des activistes sociaux. « On peut se permettre de traiter de sujets tabous. En parler brise la “ligne rouge” que nous impose notre société », explique la dessinatrice Maya Zankoul, l’une des grandes figures du réseau libanais, fondatrice de Maya’s Amalgam, un blog de dessins et de design. Nadine Moawad (nadinemoawad.com), par exemple, qui compte plus de 4 000 adeptes sur Twitter, relaie en permanence les actions qui peuvent améliorer la condition féminine au Liban et dans le monde arabe. Dans un autre registre, l’engagement d’Ontornet et de Samer Karam (via sa campagne “Flip the Switch”), pour un “Internet rapide”, reflète aussi cet engagement. L’ancien ministre des Télécommunications, Charbel Nahas, avait dû se prêter à une rencontre avec ces blogueurs activistes pour leur expliciter les raisons d’une connexion “préhistorique”, tant la campagne de protestation sur Internet se propageait.
S’ils ne gagnent pas d’argent directement grâce à leurs blogs, la reconnaissance qu’ils en tirent permet à certains de démarrer une véritable carrière professionnelle. L’humour des dessins de Maya Zankoul a ainsi d’abord plu aux internautes avant que cette créatrice, jusque-là inconnue, ne se voie proposer d’éditer deux ouvrages. Une reconnaissance qu’elle ne recherchait pas, affirme-t-elle, quand elle a lancé son blog, mais qui aujourd’hui lui permet de se consacrer à l’entreprise de design graphique qu’elle vient tout juste de créer. Maya vient d’ailleurs de fermer son blog, preuve qu’elle a tiré tout l’intérêt de sa notoriété sur Internet. Les exemples de ce type sont légions : le fondateur du blog politique Qifa Nabki, Élias Muhanna, doctorant à l’université de Harvard en histoire du Moyen-Orient, est désormais régulièrement cité comme “expert” de la politique libanaise et régionale dans la presse, depuis al-Jazeera, en passant par le New York Times ou The National. Dans un registre plus nostalgique, Nasri Atallah, un Libanais longtemps expatrié en Occident et qui publie Our Man in Beirut, devrait bientôt sortir un livre compilant ses chroniques Internet.
La blogosphère libanaise a souvent eu une longueur d’avance sur ses voisines arabes. Sans doute parce que les blogs naissent en période de bouleversements politiques majeurs. Pour le Liban, ce moment crucial date du “printemps de Beyrouth” de 2005. Un besoin de liberté d’expression et de rénovation sociale s’est alors emparé d’une partie de la population libanaise, des plus jeunes en particulier. Mustapha Hamoui, de Beirut Spring, l’un des “vétérans” des réseaux sociaux libanais, passait alors son temps à retranscrire sur son site la mobilisation des jeunes au centre-ville de Beyrouth. Mais c’est surtout au moment de la guerre de juillet 2006 que le réseau social a explosé. Les blogueurs ont joué alors un rôle crucial dans la retransmission des événements au reste du monde. Ils ont relaté, témoigné, dénoncé des événements que les journalistes traditionnels étaient dans la quasi-impossibilité de relayer, faute de parvenir à briser l’embargo médiatique imposé par Israël sur les zones de combat. Dans une moindre mesure, le même phénomène s’est reproduit en mai 2008, lors de la courte guerre urbaine menée par le Hezbollah et ses alliés à Beyrouth-Ouest. « J’alimentais mon blog plusieurs fois par jour et j’ai reçu 28 695 visites pour le seul mois de mai 2008 contre 2 000 généralement », témoigne le journaliste français David Hury, installé au Liban depuis plusieurs années et cofondateur de Chroniques beyrouthines, le seul blog en français à connaître un tant soit peu de notoriété.
Aujourd’hui, la communauté libanaise se trouve surpassée par des blogueurs d’autres pays arabes. Mais la blogosphère libanaise les relaie encore une fois : Samer Karam a passé son temps lors de la révolution égyptienne à faire le point des activistes ou des personnes disparues pendant les manifestations de la place Tahrir pour aider à les retrouver et permettre à l’information de mieux circuler.

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