Un article du Dossier

Plages : l’horizon se dégage après des années difficiles

Si les gros complexes balnéaires ont souffert de la crise économique, les plages de jour ont mieux résisté. Sur un marché concurrentiel, ces dernières ont misé sur la diversification et la spécialisation pour fidéliser une clientèle locale.

Le 15 septembre 2016, la chaîne d’hôtels de luxe suisse Kempinski inaugurait à Beyrouth le Kempinski Summerland Hotel and Resort en lieu et place du mythique Summerland. De l’ancienne structure créée par la famille Saab en 1978, il ne reste que quelques cabanons. Car, pour le reste, les nouveaux propriétaires se sont lancés dans une entreprise de démesure : l’ensemble de 75 000 m2 concentre désormais un hôtel de 153 chambres, 73 appartements privés, 583 cabanes de plage, une marina, deux piscines, trois restaurants, deux spas, trois salles de conférences et une plage de 300 mètres de long. Coût de l’investissement : près de 500 millions de dollars. C’est la même recette que d’autres ont déjà testée au Liban : s’allier à des opérateurs étrangers de renom (Mövenpick à Beyrouth, Golden Tulip à Jiyé) pour s’installer sur le littoral à coût de dizaines, voire de centaines de millions de dollars. C’est le prix à payer pour s’établir sur un littoral saturé où « le mètre carré dans la capitale ne s’achète pas au-dessous de 5 000 dollars », affirme Jean Beyrouthi, président des syndicats des propriétaires d’établissements balnéaires. Au Liban, ces grands “resorts” ne représentent qu’une dizaine d’établissements. En misant sur une vaste palette de services (hôtels, spas, salles de conférences, restaurants), ces derniers ont relégué la plage au rang d’argument marketing. « L’accès à la plage n’est réservé qu’aux clients de notre établissement, explique Cynthia Flouty, directrice des ventes au Mövenpick, 60 % de notre chiffre d’affaires est réalisé sur l’hôtellerie. » Chez Eddé Sands, complexe de 100 000 m2 à Byblos, la plage ne représente que 10 % de l’activité, le reste se concentrant sur l’hôtel, les spas, la restauration et l’événementiel. Dans un secteur soumis aux contraintes de la saisonnalité − la majorité des plages libanaises n’ouvrent que six mois par an (de mai à octobre), avec un pic en juin, juillet et août −, une telle diversification permet à ces resorts de doubler la période d’activité, qui passe à douze mois, et ainsi d’amortir des investissements colossaux. Mais la crise économique est passée par là. Avec 1,6 million de touristes au Liban en 2016, la saison dernière reste bien loin des 2,2 millions de visiteurs enregistrés en 2010, année dorée pour toute l’industrie du tourisme. En tête des déserteurs, les touristes du Golfe − un pouvoir d’achat au minimum cinq fois supérieur à celui des Libanais, remarque Alice Eddé, d’Eddé Sands − un manque à gagner de taille pour ces resorts alignés sur le très haut de gamme. Autre facteur de récession dans un secteur qui employait au total près de 25 000 personnes en 2016 : le mois de jeûne du ramadan qui tombe ces cinq dernières années en plein été. « Le mois de jeûne a occasionné un recul moyen de 60 % du chiffre d’affaires par rapport aux mêmes périodes les années précédentes », relève Jean Beyrouthi.
Les plages de jour
passent entre les gouttes

En 2016, le ministère du Tourisme recensait au Liban quelque 220 “plages privées”. Mais derrière cette appellation, les établissements n’ont en réalité en commun que leur seul accès à la façade maritime. Car aux “resorts” s’ajoutent une série d’établissements de taille variée : cela va des chalets privés en location longue durée ou à l’achat aux plages proposant un service à la journée. Ces dernières ont beaucoup moins souffert de la crise. « Les touristes du Golfe cherchent à passer une ou plusieurs nuits au Liban, témoigne Georges Boustany, propriétaire de Lazy B à Jiyé. Or le cœur de ma clientèle se compose d’expatriés vivant au Liban, ou de Libanais de l’étranger. » Si l’entrepreneur note un léger “sous-régime” depuis 2011, il tient selon lui davantage « à la crise syrienne, aux troubles dans la banlieue sud de Beyrouth, ou à d’autres événements d’ordre sécuritaire comme le blocage des routes à Saïda à l’été 2012 ». Avec une période d’activité étroite de vingt semaines par an, ces plages ont fait de l’entrée payante leur principale source de revenus. « Le ticket d’entrée commence à 5 000 livres libanaises et monte jusqu’à 50 000 », indique Jean Beyrouthi. Un accès au bord de mer qui se paie donc à prix fort, puisqu’une journée reviendra facilement à 100 000 LL dans le cas d’une famille de quatre personnes. Afin de rentabiliser les dizaines de milliers de dollars investis hors saison et d’assumer les frais de fonctionnement, ces établissements ont aussi diversifié leurs activités avec la mise en place d’offres de restauration et de boissons variées (cuisine libanaise, de la mer, bars à cocktails…) tout en développant des services privatisés à la journée (de la location à la journée de chaises longues tarifée une trentaine de dollars aux coins privés avec jacuzzi facturés plusieurs centaines de dollars). Ces plages ont en outre fait de leur façade maritime un lieu privilégié pour l’organisation de réceptions (mariages, fiançailles) ou d’événements à forte exposition médiatique (concerts, émissions de télévision) qui peuvent représenter jusqu’à 20 % de l’activité comme dans le cas d’Iris Beach à Damour.

Les plages se spécialisent

Dans un secteur qui a dû repartir de zéro au sortir de la guerre, l’offre s’est depuis considérablement développée. « Sur les 220 km de côte, 60 % du littoral est privatisé », note Mohammad Ayoub, directeur de l’ONG Nahnoo, engagée dans la préservation des espaces publics au Liban. D’abord concentrés sur une ligne allant du sud de Jiyé au sud de Jbeil, les plages ont investi ces dernières années de nouvelles régions.
C’est le cas au nord de la capitale, à Enfé ou Batroun (ouverture par le groupe Level 5 Holding de la plage “Orchid Beach Lounge” qui a représenté un investissement de deux millions de dollars). Sur une côte saturée, les plages se livrent donc à une compétition acharnée. Pour sortir du lot, elles ont misé sur la spécialisation. De la plage conditionnant son accès aux adultes âgés de plus de 21 ans dans une ambiance luxueuse (Orchid à Jiyé et Batroun), à celle cultivant nature et relaxation (Lazy B à Jiyé), en passant par celle plus festive (Iris Beach à Damour), chacune tente d’imprimer sa marque pour fidéliser une clientèle majoritairement libanaise ou expatriée. À l’aube de cette nouvelle saison, dans un contexte politique et sécuritaire apaisé, et conforté par le réchauffement des relations avec les monarchies du Golfe, l’ensemble du secteur voit un horizon dégagé. « Au Mövenpick, notre taux d’occupation est de 10 % supérieur à celui de la même période l’année dernière », déclare Cynthia Flouty. Une tendance illustrée par les derniers chiffres du ministère du Tourisme.
Au premier trimestre 2017, le nombre de touristes était en hausse de 12,6 % (+13,6 % pour le seul mois de mars). Cependant, la prudence règne dans un secteur habitué à subir de plein fouet les troubles sécuritaires. La guerre de l’été 2006 reste pour toute l’industrie touristique un traumatisme. Les plages avaient mis plusieurs années à s’en relever.
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