Le spécialiste de la vente de métaux bruts et fabricant de produits semi-finis métalliques a survécu à cinq générations de Naggiar, la famille fondatrice de l’entreprise. Une résilience qui s’explique notamment par sa capacité d’adaptation. 

Des marins anglais devant l'atelier de Naggiar en 1943.
Des marins anglais devant l'atelier de Naggiar en 1943. D.R.

À bientôt 160 ans dont près de 85 passés au Liban, Naggiar fait partie des doyens de l’industrie métallurgique au Moyen-Orient. Spécialisée dans la vente de métaux bruts et leur transformation en produits semi-finis pour l’industrie et la construction, l’entreprise familiale fait aujourd’hui partie des principaux acteurs du secteur sur le marché libanais.

« Nous sommes leaders sur plusieurs métaux non ferreux, notamment l’acier inoxydable, le cuivre et le laiton », affirme Alexandre Naggiar, responsable du développement des ventes. Malgré la contraction du marché « de près de 25 % depuis 2017 », Naggiar est parvenue à maintenir un chiffre d’affaires stable à environ 50 millions de dollars en 2018, en incluant ses activités d’agent local pour plusieurs fabricants étrangers.

L’industriel continue même d’investir. Un second “centre de service” – où sont stockés et transformés les métaux – a été ouvert en 2017 à Mkallès ainsi qu’un deuxième point de vente à Zahlé, dans la Békaa, en 2018. L’entreprise emploie aujourd’hui plus de 120 salariés.

« En dépit de la conjoncture actuelle, il faut préparer l’avenir », enjoint Alexandre Naggiar, fraîchement diplômé de l’école de commerce française HEC et dernier membre de la cinquième génération de Naggiar à avoir rejoint les affaires. Parmi ses aïeuls, ils sont aujourd’hui cinq de la même fratrie à siéger au conseil d’administration de l’entreprise et à y occuper des postes managériaux, dont le PDG, Farid Naggiar.

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Une longévité rare. En effet, d’après les chiffres du Family Business Network, seules 3 % des entreprises familiales dans le monde parviennent à passer le cap de la quatrième génération.

D’Alep à Beyrouth

La formule magique ? « Labeur, persévérance et honnêteté », entonne le responsable de l’activité équipements de l’entreprise, Fady Naggiar, qui fait partie de la quatrième génération. « Nous sommes fidèles à cette devise instaurée par mon grand-père », insiste-t-il. Plus pragmatiquement, « un accord tacite veut que les membres de la famille impliqués dans la gestion de l’entreprise s’y dédient entièrement, sans s’investir dans des projets personnels ».

Un petit musée, installé au siège de l’entreprise à Beyrouth, retrace l’épopée familiale. « Quand on sait d’où on vient, on sait mieux où l’on va », remarque Alexandre Naggiar, qui a décidément le sens de la formule.

C’est à Alep, en 1860, que tout commence. Gabriel Najjar et son beau-frère Avédis Dabbagh, arméniens d’origine, fondent une société commerciale spécialisée dans la vente d’acier, d’outils et de biens en fer. Vers 1925, ses descendants prennent le nom de Naggiar pour les affaires. « Nos principaux fournisseurs étaient italiens et n’arrivaient pas à prononcer correctement notre nom avec les deux “j” qui donnaient “nayyar” », raconte Alexandre Naggiar.

Il faut attendre 1935 pour que l’entreprise s’installe au Liban, délocalisée par Michel Naggiar, le fils du fondateur. « Alep était en perte de vitesse économique, tandis que Beyrouth nous offrait un accès direct au commerce maritime avec son port », explique Fady Naggiar.

C’est à cette époque que l’entreprise s’industrialise. « Nous fabriquions des brouettes, des fers pour les chevaux et les bovins et, à partir de 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale, divers objets métalliques, dont des lits et gourdes pour les armées alliées française et britannique. »

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Mais c’est dans les années 1970 que s’opère le grand virage qui donnera à l’entreprise son modèle actuel. Les Naggiar renoncent à la production de produits finis et se spécialisent dans les produits semi-finis, élaborés sur commande. Leurs clients deviennent des industriels à l’instar du constructeur de transformateurs électriques Matelec ou d’Unico, un fabricant d’ustensiles de cuisine. « Nous étions pionniers sur ce créneau au Liban », raconte Fayek Traboulsi, directeur du développement stratégique, l’un des seuls cadres de l’entreprise non membre du clan familial. « Nous nous sommes astreints à ne pas fabriquer de produits finis pour ne pas concurrencer nos propres clients », précise le directeur.

Une ouverture vers l’architecture

Au milieu des années 1990, Roy Naggiar, architecte et frère de l’actuel PDG, étoffe cette offre en créant un département dédié aux produits architecturaux à destination des spécialistes de la construction. On retrouve aujourd’hui les produits de l’industriel sur les toitures en zinc de l’hôtel Albergo à Achrafié, la mosquée al-Omari au centre-ville, ou encore sur la façade en aluminium du centre commercial ABC à Dbayé.

Environ 70 % des produits métalliques vendus par Naggiar sont désormais des produits semi-finis, la part restante étant représentée par des métaux bruts non transformés. Plusieurs concurrents sont depuis apparus sur le même créneau que le fabricant. « Mais nous sommes l’un des seuls à avoir une offre aussi diversifiée », précise Alexandre Naggiar.

Pour conserver ses parts de marché, l’entreprise parie sur l’investissement en équipement de pointe. En 2005, l’entreprise achète sa première machine laser. « Cette technologie a révolutionné le secteur : elle permet d’avoir plus de précision dans la découpe et de réduire le temps de fabrication », explique Philippe Naggiar, responsable des centres de services.

Vue du centre de services de Naggiar à Mkallès D.R.

En 2017, pour la broutille d’environ 1,5 million de dollars, l’entreprise se dote d’une seconde machine laser plus puissante, de 8 kW, du fabricant allemand Trumpf. « Nous étions l’un des premiers à en acquérir une dans la région, se félicite Philippe Naggiar. Elle est capable de découper des tôles d’acier inoxydable allant jusqu’à 4 cm d’épaisseur. »

Dernier investissement en date en 2019, pour deux millions de dollars : une machine de découpe en longueur. « Elle nous permet d’acheter des bobines de 20 tonnes et de les couper à la taille exacte désirée par nos clients sans générer de rebus de fabrication », justifie l’ingénieur.

Ouverture vers l'étranger

Pour rentabiliser ces investissements et réduire sa dépendance au marché libanais, Naggiar aspire à augmenter sa présence à l’étranger. « Une grande partie de nos produits était exportée avant la guerre civile, notamment dans la région du Levant ; mais, aujourd’hui, moins de 10 % de notre chiffre d’affaires est réalisé hors du Liban », décrit Fayek Traboulsi.

En 2008, Naggiar tente l’aventure au Qatar, en ouvrant un bureau à Doha. « Le pays était à l’époque un bon point de départ pour accéder aux marchés du Golfe et semblait promis à un avenir radieux, notamment grâce aux perspectives offertes par la Coupe du monde de football 2022, pour laquelle le Qatar faisait déjà office de favori », raconte Alexandre Najjar. Mais ce n’est pas l’eldorado espéré. « Plusieurs gros contrats nous sont passés sous le nez et le contexte géopolitique régional, avec le blocus des pays arabes, a changé la donne. » Finalement, le bureau est jugé non rentable et fermé définitivement en 2018.

« Nous préférons désormais envoyer ponctuellement des équipes depuis le Liban, en utilisant notre réseau de contacts pour sécuriser des projets. » Naggiar vise désormais des marchés de proximité : la Syrie, la Jordanie et l’Irak.