Avec 6350 entreprises et environ deux milliards de dollars de revenus annuels, les industries culturelles et créatives représentaient près de 4,75% du PIB du pays en 2015. Mais depuis, la crise et l’explosion du Port de Beyrouth sont passés par là. Comment sauver la créativité libanaise? Éléments de réponse.
Donner une voix aux industries culturelles et créatrices (ICC), et les soutenir, c’est l’objectif de la présentation mercredi d’une étude élaborée par l’Institut des Finances Basil Fuleihan sur leur contribution économique. Financée par l'Institut français du Liban et l’Agence française de développement (AFD), l’étude fournit une radiographie aussi précise que possible d’un vaste secteur, englobant tant l’édition, le cinéma, la musique, les arts plastiques, les arts vivants, que la mode, la joaillerie ou la publicité.
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«Lorsque l’étude a été lancée, il s’agissait de mettre en lumière les moyens de développer ces industries. La crise a reconfiguré les besoins: nous cherchons davantage aujourd’hui à identifier quels pourraient être les leviers avec lesquels reconstruire l’économie du pays et, partant, le secteur culturel», explique Marie Buscail, directrice de l’Institut français du Liban et conseillère de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France.
Quelque 6500 entreprises
C’est en effet l’un des principaux enseignements de l’étude: les ICC représentent un véritable atout économique pour le pays et pourraient contribuer à redresser son économie. «D’une part, elles s’exportent facilement; d’autre part elles ont des coûts de production inférieurs à ceux de l’industrie ou de l’agriculture», rappelle l’avocat Rony Araigi et ancien ministre de la Culture.
Avec 6350 entreprises enregistrées auprès des services du ministère des Finances dans le secteur avant 2015, environ deux milliards de dollars de revenus annuels au global, les ICC contribue à hauteur de 4,75% du PIB du pays, note le rapport. Soit «le double de la contribution du secteur de l’agriculture selon les chiffres de l’Administration centrale de la statistique», ajoute la directrice de l’institut des Finances, Lamia Moubayed.
L’experte reconnaît toutefois que l’informalité qui gangrène le secteur rend l’analyse financière difficile. «Dans certains secteurs, comme le théâtre, près des 70% des employés ne sont pas déclarés », souligne-t-elle. C’est d’ailleurs pourquoi l’étude fournit une fourchette très large du nombre de salariés du secteur, estimé entre 100.000 et 300.000.
Problèmes structurels
La crise est bien sûr depuis passée par là. Et l’explosion du 4 août n’a rien arrangé. Au lendemain de la catastrophe, la Banque mondiale estimait la culture parmi les secteurs les plus affectés par la catastrophe. L’institution internationale chiffrait les dégâts compris à un 1,9 et 2,3 milliards de dollars tandis que les pertes étaient évaluées entre 400 et 490 millions environ. «La ville a perdu l’un des principaux hubs créatifs, accélérant vraisemblablement le départ à l’étranger des talents», reconnaît l’économiste Nizar Hariri, directeur de l’observatoire universitaire de la réalité socio-économique de l’Université Saint-Joseph, et l’un des auteurs du rapport. Pour lui, il n’y pas de doute: «Les ICC sont aujourd’hui menacées de disparition au Liban».
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Comme dans d’autres secteurs, la crise économique n’a fait que révéler et accentuer des lacunes structurelles, découlant de l’absence de stratégie d’ensemble et de planification. «C’est tout l’environnement institutionnel du secteur qu’il faut revoir si on veut aider le secteur», reconnaît Rony Araigi. L’obsolescence des lois et des réglementations, la fiscalité inadaptée, la difficulté de ces acteurs à se fédérer, l’informalité de bon nombre d’entre eux et, partant, l’absence d’investissements privés… figurent parmi les principales faiblesses pointées par ce rapport.
Dans ce contexte, Lamia Moubayed suggère d’«améliorer la coopération entre les différents opérateurs, notamment ceux qui ont une valeur à l’export». Elle propose en outre une coordination de calendrier entre les nombreux organismes existants afin de mieux fusionner les agendas des manifestations et mutualiser les présences sur le terrain à l’étranger. «Les industries culturelles doivent se fédérer et proposer une action commune, à l’image par exemple de ce qui se passe dans le secteur du patrimoine culturel, pour exister auprès des bailleurs de fond et les grandes organisations internationales. C’est selon moi la seule hypothèse crédible pour leur permettre de survivre», avance encore la directrice de l’Institut des finances.
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À ce jour, plusieurs initiatives sont venues en appui d’un secteur éprouvé comme le fonds d’urgence de 300.000 dollars du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) français, qui a permis de maintenir un certain nombre de tournages ou encore le fonds de redressement de la Banque mondiale, en cours de finalisation, à destination des PME, et auquel les entreprises du secteur culturel pourront prétendre. «Il est évident que le pays traverse une crise existentielle. Aucun secteur économique n’y échappe. Pourra-t-on sauver la créativité libanaise», s’interroge Marie Buscail? La directrice de l’Institut français l’espère en tout cas.