Un article du Dossier

Les promesses de l'export

Dans son plan de sauvetage, le gouvernement table sur une croissance des exportations, qui seraient portées par la dévaluation de la monnaie nationale. Mais pour le moment, les exportations sont en berne.

Pour le géant des générateurs, Saccal, qui exporte environ 80 % de sa production, leur « marge de manœuvre est très réduite. »
Pour le géant des générateurs, Saccal, qui exporte environ 80 % de sa production, leur « marge de manœuvre est très réduite. »

En 1987, lorsque la livre avait perdu plus de 420 % de sa valeur par rapport au billet vert en un an, la balance des paiements avait affiché son premier excédent en cinq ans. Il s’était élevé à « environ un milliard de dollars, principalement dû à un net redressement de la balance commerciale », selon l’édition du 11 janvier 1988 du Commerce du Levant.

Le secteur industriel en avait alors brièvement profité, avant d’être à nouveau entraîné dans la guerre de libération puis laissé de côté dans la formulation des politiques de reconstruction.

Le plan de sauvetage adopté début mai par le gouvernement souligne que la surévaluation de la monnaie locale a eu « un effet d’éviction sur le développement du secteur industriel », et mise sur la dévaluation pour transformer, cette fois, l’essai. D’autant qu’une amélioration de la compétitivité relative des produits libanais se conjuguerait à la réouverture progressive des frontières avec la Syrie, et donc des liaisons terrestres vers l’Irak et les pays du Golfe, parmi les premiers marchés du Liban, et la baisse des prix du pétrole. Ce dernier facteur est toutefois à double tranchant, car il déprime aussi la demande régionale.

Baisse des exportations de 2,6% en six mois, hors les "perles, pierres et métaux précieux"

Pour le moment en tout cas, la dépréciation continue de la livre libanaise, qui devrait être formalisée en dévaluation si le Liban s’engage dans un programme avec le Fonds monétaire international, n’est pas l’aubaine espérée pour les exportateurs, bien qu’ils aient accès au “fresh money”.

Selon les chiffres des douanes, entre septembre 2019 – date à laquelle la livre a commencé à se déprécier sur le marché parallèle – et février dernier, les importations ont certes baissé de 16,9 % en valeur, à 9 milliards de dollars, et les exportations ont augmenté de 33,9 %, à 2,3 milliards de dollars, par rapport à la même période un an plus tôt. La hausse des exportations est cependant tirée par les perles, pierres et métaux précieux, une catégorie de produits incluant les articles de joaillerie, mais aussi, majoritairement, de l’or non travaillé ou semi-travaillé, sans véritable valeur ajoutée. En excluant cette catégorie, les exportations affichent une baisse de 2,6 % en valeur et de 10,2 % en volume.

La tendance s’est accélérée en mars, avec la mise à l’arrêt de l’économie par la pandémie de Covid-19. Les importations se sont effondrées (-62,1 % par rapport à mars 2019) mais aussi les exportations (-25,6 % en valeur et 26,4 % en volume).

La reprise progressive de la demande mondiale va-t-elle permettre aux industriels libanais d’aller à la conquête des marchés étrangers, avec des produits devenus moins chers à produire ?

Pas si sûr. « La plupart de notre matière première certifiée et organique sont importées et nous continuons pour l’instant de payer nos salariés en dollars, donc la dépréciation ne nous avantage pas », affirme Hassan Rifaï, directeur marketing du fabricant de cosmétiques Beesline, qui réalise 95 % de ses ventes à l’export, notamment dans les pays du Golfe.

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Le constat est similaire pour le joaillier Sélim Mouzannar : « Les métaux et pierres importés représentent 65 % de nos coûts, tandis que le reste est principalement constitué de frais de main-d’œuvre, formée pendant plusieurs années dans nos ateliers et dont je dois réajuster les salaires au moins en partie pour la garder. »

Matières premières et technologies importées

Le géant des générateurs, Saccal, qui exporte environ 80 % de sa production, est, lui, parvenu à baisser légèrement ses prix. « Mais notre marge de manœuvre est très réduite », affirme Assaad Saccal, le directeur général du groupe, dont 70 % des coûts sont en dollars.

« Les machines, dont les générateurs, et les produits chimiques constituent deux produits industriels complexes à fort potentiel d’exportation pour le Liban. Mais leur production requiert une part importante de matières premières et de technologie importées », reconnaît Nancy Ezzeddine, coauteure d’un rapport sur la promotion des exportations à forte valeur ajoutée publiée en août 2019 par le Lebanese Center for Policy Study (LCPS).

Depuis plusieurs mois déjà, les industriels cherchent à obtenir l’assouplissement des restrictions bancaires les empêchant d’accéder à leurs fonds en devises bloqués dans les banques. Le gouvernement et la Banque du Liban ont annoncé en mars la création d’un fonds baptisé “Cedar Oxygen”, basé en Europe, destiné à financer les importations de matières premières des industriels libanais. Ce fonds devrait être financé par des prêts d’institutions internationales pour un montant de 600 à 700 millions de dollars sur un an. « La plate-forme devrait voir prochainement le jour », indique Fadi Gemayel, président de l’Association des industriels libanais.

En attendant, les fabricants devront se contenter d’une enveloppe d’urgence de 100 millions de dollars, octroyée à travers la circulaire intermédiaire n° 556 et répartie en tranches de 300 000 dollars au maximum par entreprise. Celle-ci prévoit de débloquer les dollars que ces industriels détiennent en banque, à hauteur de 90 % de l'enveloppe demandée, à condition qu'ils fournissent les 10 % restants en « fonds frais ». « Cela devrait aider, pendant une courte période, les industriels à maintenir leur production et à l’exporter à l’étranger », estime Fadi Gemayel.

Les producteurs dont l’approvisionnement est moins dépendant de l’étranger sont sans doute plus avantagés. « Nous sommes en train de renégocier les contrats avec les producteurs de raisin, traditionnellement en dollars, pour pouvoir les payer en livres libanaises », explique Zafer Chaoui, président de l’Union vinicole du Liban et de Château Ksara. L’achat de raisin a représenté en 2018 environ 10 % du chiffre d’affaires de Château Ksara. « Nous espérons aussi faire des économies sur les frais de main-d’œuvre, qui représentaient avant la crise environ 20 % de nos revenus, même si une majoration des salaires à moyen terme semble inévitable », explique le producteur de vin. De là à pouvoir réduire les prix des bouteilles à l’étranger pour gagner des parts de marché ? « Il est encore trop tôt pour le dire, affirme avec prudence Zafer Chaoui. Nous devons tout d’abord faire face à une réduction substantielle des ventes sur le marché local, puis récupérer des parts à l’export perdues à cause du coronavirus ».

Des facteurs structurels de compétitivité manquants

Mais même si la compétitivité-prix s’améliore et que la demande internationale est au rendez-vous, les entreprises libanaises pourront-elles produire davantage ? Certaines usines ne fonctionnant aujourd’hui pas à pleine capacité pourraient y parvenir. « Nous sommes capables d’augmenter la production rapidement », affirme par exemple Fadi Abboud, PDG du spécialiste de l’emballage plastique General Packaging Industries (GPI), qui espère pouvoir tirer parti à moyen terme du regain de la demande pour ce type de produits en Europe, dans le sillage de la pandémie de Covid-19.

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Mais pour les autres, « il faudra pouvoir mettre en place de nouvelles capacités de production et embaucher du personnel pour faire face à une éventuelle hausse de la demande étrangère », souligne Hassan Ayoub, chef du département d’économie à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université libanaise.

Or la faiblesse de certains facteurs structurels de compétitivité n’est pas de nature à encourager l’investissement, dans un contexte économique incertain, tant au niveau mondial que local.

Le Liban affiche en effet un piètre score de 54,3 sur 100 à l’indice sur le climat des affaires de le Banque mondiale, le classant en 143e position sur 190 pays, selon des données collectées avant mai 2019. « La dépréciation de la livre libanaise n’est pas un “game changer”, estime ainsi le président de l’Autorité de développement des investissements au Liban (Idal), Mazen Soueid. Les exportations sont plus affectées par les coûts de l’électricité, du foncier ou encore la bureaucratie. »

En attendant les éternelles réformes structurelles promises par le gouvernement, le plan de sauvetage prévoit quelques mesures de soutien à court terme, comme la mise en place d’une subvention des exportations industrielles, prévue dans le budget 2020, une simplification et un assouplissement des procédures administratives pour l’export et l’import, ou encore la création d’un label “Proudly Made in Lebanon”, afin de promouvoir l’image de marque de la production libanaise. Pas vraiment non plus de quoi changer la donne.

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